Du simple bourg aux portes fortifiées : la grande aventure médiévale de Roye

5 juin 2025

Les premières traces : Roye avant le grand tournant


À l’orée du Moyen Âge, Roye n’est encore qu’un modeste bourg, bâti sur une butte, entre Somme et Santerre. Quelques rares indices, à peine une poignée, suggèrent une occupation ancienne. On mentionne la présence d’une villa gallo-romaine, située non loin de l’actuelle porte Saint-Pierre (source : Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie). Mais c’est véritablement à partir du IX siècle, avec l’essor des premiers seigneurs locaux, que les grandes lignes de la ville se dessinent. La position de Roye, au carrefour d’axes commerciaux antiques, attire déjà quelques chalands, mais rien encore ne laisse présager l’effervescence à venir.

L’essor économique du XI au XIII siècle : quand Roye prend racine


Entre le XI et le XIII siècle, Roye entre dans la lumière : le commerce et l’artisanat explosent. La bourgade, placée sur la route d’Amiens à Compiègne, voit passer marchandises, pèlerins et messagers. L’activité agricole environnante — blé, orge, vignes même ! — structure le premier marché. Mais l’artisanat ne tarde pas à suivre, tiré par la demande nouvelle d’une population en hausse.

  • En 1153, Roye obtient une charte communale des comtes de Vermandois, attestant le développement urbain et un début d’autonomie (source : Jules Finot, “Recherches sur l’histoire de Roye”, 1891).
  • La ville s’organise autour de ses métiers : tisserands, tanneurs, boulangers, forgerons s’installent en cœur de ville, dans des rues qui portent parfois encore leur nom aujourd’hui.
  • Les foires de Roye gagnent en réputation. On vient de tout le Santerre et bien au-delà pour acheter, vendre, négocier sous la halle (source : Jacques Verger, “Le commerce des foires en Picardie médiévale”, 1998).

Ce foisonnement attire évidemment les convoitises… et les moyens de défense.

Des murailles qui protègent… et qui affirment


L’un des atouts les plus spectaculaires du développement de Roye, ce sont ses fameuses fortifications médiévales. Dès le XII siècle, on élève une enceinte redoutable : remparts de pierres, fossés, portes massives. Au XIII siècle, Roye compte pas moins de quatre portes principales — Saint-Pierre, Ham, Pontoise, Paris —, surveillées jour et nuit (source : Georges Duruy, “Les fortifications médiévales de la Somme”, 1937).

  • La ville n’est pas fortifiée par coquetterie, mais par nécessité : la région est alors la proie des guerres féodales, puis, plus tard, des affrontements franco-bourguignons.
  • En cas d’alerte, la population se réfugie dans l’enceinte, tandis qu’aux abords, les faubourgs — moins protégés — sont régulièrement dévastés (source : Archives départementales de la Somme).
  • Le rempart deviendra un marqueur urbain, fixant les limites de la croissance et dessinant la ville telle que nous la connaissons encore, en partie, aujourd’hui.

Une ville marchande et une étape-clef des routes du nord


À quoi ressemblait Roye médiévale en pleine activité ? Imaginez la grande place rongée d’étals, les cris des marchands, les artisans s’interpellant d’une échoppe à l’autre… et le passage constant de marchands allant vers les Flandres.

  • Roye se situe sur l’axe Paris-Amiens-Lille, l’une des lignes majeures du commerce du blé, de la laine, des draps et du vin.
  • Les marchands venus d’Artois, de Champagne ou de Flandres marquent la ville comme une halte naturelle, contribuant à forger une identité cosmopolite… toutes proportions gardées pour l’époque.
  • La diversité s’invite dans les halles : on trouve des monnaies étrangères, des objets venus de loin, et même, selon certains registres, des échanges avec la région de Cologne.

Un épisode typique : au milieu du XIII siècle, Roye accueille jusqu’à quatre grandes foires annuelles. Les archives municipales évoquent des pics de fréquentation avec plusieurs milliers de visiteurs, un chiffre impressionnant pour le Santerre médiéval.

Le pouvoir seigneurial, l’Église et la charte : fondations de l’ordre urbain


L’essor de Roye s’accompagne forcément de querelles d’influence. Plusieurs familles se disputent la seigneurie — dont les puissants comtes de Vermandois, de Champagne ou, plus tard, l’ombre des rois de France eux-mêmes.

  • La charte communale de 1153 octroie aux habitants certains droits : liberté de commerce, gestion propre, maintien de la sécurité locale. Mais le seigneur conserve d’importants privilèges.
  • L’Église règne aussi sur le bourg. Une dizaine d’édifices, chapelles, couvents et même un prieuré animent la ville. La paroisse de Saint-Pierre, la plus ancienne, rythme la vie urbaine (source : “Inventaire du patrimoine religieux du Santerre”, DRAC Hauts-de-France).
  • Justice, taxes, prélèvements : tout se négocie, parfois âprement, entre bourgeois, notables et autorités spirituelles.

Cette dualité entre liberté croissante et tutelle seigneuriale façonne un climat particulier : ni totalement indépendante, ni simplement soumise, Roye s’émancipe peu à peu.

Des métiers et des hommes : la vie quotidienne dans la ville close


Aujourd’hui, il nous reste quelques noms de rues, quelques pierres et parfois des traces écrites pour imaginer la vie dans la Roye médiévale. Mais en grattant un peu, on redécouvre tout un foisonnement humain :

  • Les “pelotons” de tisserands s’installent dans la partie nord de la cité.
  • Les “tanviers” (tanneurs), eux, sont relégués près du ruisseau du Rû d’Ourscamp pour limiter les odeurs…
  • Les forgerons font entendre le marteau sur l’enclume, si bien que la “rue des Forges” perdure dans la mémoire populaire.

La vie est rude. Les épidémies (la peste noire fauche une partie de la population en 1348, la ville passe alors de près de 3000 à moins de 2000 âmes, source : Les grandes pestes dans la Somme, Jean-Bernard Duval, 2007), les famines, les troupes de passage (souvent pillardes) rappellent la fragilité de l’époque.

Mais Roye n’a jamais perdu cet esprit de solidarité, visible dans ses confréries (la célèbre confrérie des charitables dès 1270), ses guildes et ses marchés solidaires. Ces structures préfigurent, à leur façon, l’entraide locale d’aujourd’hui.

Roye en temps de crises : les guerres, les sièges et les reconstructions


Impossible d’aborder l’histoire médiévale de Roye sans parler des conflits. La position de la ville, à la frontière de nombreuses principautés, en fait une cible.

  • Roye subit plusieurs sièges notables : durant la Guerre de Cent Ans, elle est prise et reprise à cinq reprises entre 1359 et 1430 (source : Chronique d’Enguerrand de Monstrelet).
  • La ville est fortifiée, mais pas imprenable : les troupes anglaises, bourguignonnes puis françaises y entrent successivement.
  • Les destructions sont souvent reconstruites dans la foulée, chaque époque ajoutant sa couche, ses techniques, ses astuces urbaines. Les remparts évoluent, s’affinent, s’adaptent aux nouvelles menaces.

Ce va-et-vient destructeur entraîne, paradoxalement, un renouvellement de la cité : on inove, on rebâtit, et la population migrante amène parfois des savoir-faire inattendus à Roye.

Chronologie marquante : Roye, de la genèse médiévale à la modernité


  • 842 : Première mention écrite connue de Roye (“in villa Roia”, Cartulaire de Corbie).
  • XI siècle : Construction de l’église Saint-Pierre et premières extensions urbaines hors du noyau primitif.
  • 1153 : Charte communale octroyée aux bourgeois.
  • XIII siècle : Apogée des foires. Fortification complète de la cité.
  • 1346-1430 : Succession de sièges durant la Guerre de Cent Ans. Churchill, le chroniqueur anglais, mentionne Roye comme “vigorous and troublesome stronghold”.
  • Fin du XVe siècle : Début du déclin relatif après la centralisation du pouvoir royal et le déplacement des axes commerciaux.

La trace médiévale dans le Roye d’aujourd’hui


Si les remparts sont tombés, si les siècles ont bouleversé les façades et les places, l’empreinte médiévale est toujours là — dans l’organisation urbaine, les noms de rues, la toponymie, certains bâtiments (l’église Saint-Pierre conserve plusieurs éléments du XII siècle, la place de la Halle rappellera toujours les heures marchandes). Les fêtes historiques et le marché du samedi perpétuent, à leur façon, cet esprit d’agitation bonhomme et commerçante qui caractérisait la Roye médiévale.

Prendre le temps d’arpenter la ville, de s’arrêter devant un pan de mur, un blason oublié ou un vieux puits, c’est un peu dialoguer avec cette histoire, sentir la vapeur des âges et imaginer le bourdonnement d’une cité qui ne s’est jamais vraiment éteinte.

Curieux d’en savoir plus ? Les archives municipales, les circuits de découverte du patrimoine et le remarquable travail des associations locales sont des mines pour qui veut remonter le fil du Moyen Âge royen. Et comme on dit ici : à Roye, l’histoire n’est jamais bien loin…

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