Roye : des bastions médiévaux aux traces contemporaines, une histoire à ciel ouvert

2 juin 2025

Le Moyen Âge : Roye, une citadelle prospère et convoitée


Quand on évoque Roye au Moyen Âge, il faut imaginer une ville fortifiée, ceinte de murailles et striée de fossés — une véritable sentinelle aux portes du Vermandois et de la Picardie. Dès le Xe siècle, Roye est mentionnée comme une bourgade fortifiée. Son développement n’est pas un hasard : placée sur la fractale médiévale des routes commerciales, entre Amiens, Compiègne et Noyon, la ville attire les marchands depuis très tôt.

  • 1100 : Roye obtient sa première charte communale, octroyée par Simon de Roye, ce qui officialise ses franchises et marque une émancipation vis-à-vis des seigneurs.
  • XIIIe siècle : La double enceinte de remparts est achevée, ponctuée de onze tours défensives.Des foires se tiennent régulièrement sur la place principale ; elles phagocytent les alentours durant plusieurs jours, boostant l’économie locale et l’artisanat (tisserands, tanneurs, meuniers).
  • Guerre de Cent Ans : Roye change plusieurs fois de mains, attaquée par les Bourguignons, puis les Anglais. L’une des anecdotes savoureuses à retenir : en 1414, la ville repousse un siège, non sans mal, avant d’être finalement prise par les Bourguignons l’année suivante.

Le Moyen Âge imprime donc à Roye ce double visage : ville de foire dynamique et camp retranché, carrefour autant que rempart. Aujourd’hui encore, certains noms de rues ou la silhouette de la porte d’entrée du vieux Roye rappellent cette époque-bouclier.

Les Guerres de religion : Roye entre flammes et compromis


À la fin du XVIe siècle, la France s’enflamme (littéralement et politiquement!) autour des rivalités entre catholiques et protestants. Roye ne fait pas exception : sa position charnière en fait un enjeu de taille pour les belligérants.

  • 1567 : La ville subit l’assaut des troupes huguenotes. Églises et habitations sont partiellement incendiées. La collégiale Saint-Pierre, alors centre de la vie religieuse locale, pâtit lourdement des dégradations.
  • La Ligue catholique : Appuyée par certains notables, elle prend le contrôle de Roye, avant d’être combattue par les partisans du roi Henri IV. On signale des épisodes d’occupation, des pillages et, surtout, une méfiance durable entre familles du cru.

Les archives de la ville témoignent de compromis locaux : Roye se signale, au fil des années, par des tentatives de conciliation (par exemple, l’accueil ponctuel de protestants modérés, sources : Archives Départementales de la Somme).

De la Grande Guerre aux ruines : la mémoire vive de 14-18


Roye franchit le cap du XXe siècle sans se douter de la tempête qui se profile. Dès août 1914, la ville est le théâtre de passages de troupes, de réquisitions massives et d’épisodes tragiques plus confidentiels. Pourquoi tant d’intensité? Parce que Roye est placée au cœur de la ligne de front, à la charnière des offensives dans la Somme.

  • Août 1914 : La ville change de main quatre fois en moins de deux mois.
  • Guerre de position : Roye est fortifiée par les Allemands. Les habitants sont évacués, les bâtiments stratégiques minés. Parmi les anecdotes frappantes : les automates installés dans l’église pour simuler une présence humaine et tromper l’ennemi.
  • 1918 : Lors de la retraite allemande, la ville est quasi totalement détruite (source : Service Historique de la Défense). On estime que près de 95% des habitations sont rasées.

Des photos poignantes des années 1920 montrent une Roye en ruines : la mairie éventrée, la collégiale Saint-Pierre debout mais mutilée, les rues à l’aspect lunaire. Difficile d’imaginer, pour qui découvre Roye aujourd’hui, que ce décor d’apocalypse a précédé la reconstruction.

Seconde Guerre mondiale : entre occupation et souvenirs de résistance


On parle moins de Roye pendant la Seconde Guerre mondiale qu’au lendemain de la Première… et pourtant ! Dès 1940, la ville est occupée par les forces allemandes. Le quotidien est rythmé par les restrictions, l’administration militarisée, les rondes de soldats sur la place principale.

  • 1942 : Plusieurs familles juives recensées à Roye sont arrêtées et déportées. La stèle du square Gambetta porte aujourd’hui leur mémoire.
  • Résistance locale : Quelques habitants se signalent par des actes de sabotages. Selon les Archives nationales, des courriers interceptés attestent de filières Royennes vers Compiègne… et l’Angleterre (via la ligne Comète).
  • La Libération : Août 1944 voit s’enchaîner combats brefs et explosions de dépôts allemands, occasionnant de nouveaux dégâts matériels.

Certaines traces sont encore visibles : abris souterrains, inscriptions murales cachées sur les anciens bâtiments administratifs, ou impact de balle sur quelques pierres du centre. Un patrimoine douloureux, mais prégnant.

Du chaos à la modernité : la reconstruction de Roye au XXe siècle


Comment Roye a-t-elle ressuscité après deux guerres mondiales ? La reconstruction, enclenchée dès 1919, est titanesque. Soutenue par l’État mais aussi par des souscriptions privées (notamment “Le Sou de Roye”, initiative locale), la ville est repensée quasiment sur ses fondations d’antan.

  1. Années 1920-1930 : L’architecte Pierre Leprince-Ringuet redessine le centre, en s’inspirant du style art déco. On lui doit le “nouveau” marché couvert, la poste et plusieurs lignes d’habitat alignées comme à Amiens.
  2. Écoles et hôpital : Privilégier l’accès à la santé et à l’éducation, c’est déjà préparer la modernité. La nouvelle école publique, ouverte en 1927, devient vite un symbole de renaissance.
  3. 1945-1960 : Après le second conflit mondial, Roye se modernise : électrification, premiers lotissements en périphérie, installation d’industries agroalimentaires et textiles.

La ville d’aujourd’hui, avec ses rues rectilignes, ses monuments datés des années 1920 et ses quartiers “neufs”, est un héritage direct de ce double effort de reconstruction et d’innovation.

Géopolitique picarde : pourquoi Roye a-t-elle tant compté ?


Un point de passage obligé, une “clef” de Picardie : voilà comment on qualifiait déjà Roye au Moyen Âge. Cette centralité explique des pans entiers de son histoire mouvementée.

  • Son carrefour stratégique : Roye commande les routes Nord-Sud et Est-Ouest (voir carte IGN historique, 1845). Contrôler Roye, c’est pouvoir déployer troupes et marchandises entre Paris, Amiens et l’Est.
  • Place-forte royale : Dès le XVe siècle, les rois de France fortifient Roye pour couper court aux avancées ennemies — Anglais d’un côté, Bourguignons de l’autre.
  • Un nœud ferroviaire : Grâce à l’arrivée du chemin de fer au XIXe siècle, la ville s’impose comme “gare-relais” pour les exportations agricoles de la plaine du Santerre.

Pour les rois, les ducs et plus tard les militaires, Roye n’est pas qu’une ville : c’est un seuil, un verrou, un observatoire d’où se décident des équilibres régionaux.

L’empreinte de l’ère industrielle : usines, ateliers, zèle collectif


On a tendance à l’oublier, mais celle qu’on appelle la “belle endormie du Santerre” a connu un âge d’or industriel. L’apothéose ? Les XIXe et XXe siècles, avec une spécialisation dans quelques “filières reines”.

  • Le textile et le feutre : Dès 1860, l’installation d’usines de feutre pour chapeaux génère des dizaines d’emplois. On compte jusqu’à 5 manufactures estampillées “Roye” à leur grand pic (source : Musée de la Picardie).
  • Les sucreries : La culture de la betterave fait exploser les sucreries locales à la veille de 1914. Plusieurs bâtiments désaffectés subsistent en périphérie, clin d’œil à cet effervescent passé agro-industriel.
  • L’innovation : En 1905, l’entrée de l’électricité puis du gaz renforce ce dynamisme. Les ateliers mécaniques de Roye travaillent, entre 1870 et 1930, pour des clients jusque dans l’Oise et l’Aisne.

Aujourd’hui, la reconversion n’est pas toujours achevée, mais le tissus industriel laisse partout ses empreintes, de la halle à la gare.

Traces, archives et mémoires : comment en savoir plus ?


Notre histoire, c’est aussi ce qu’on a su documenter. Roye bénéficie d’archives remarquablement conservées, accessibles, et étonnamment vivantes.

  • Archives municipales : Le Registre du Conseil de Ville (XIVe siècle) — disponible aux archives de la mairie — détaille délibérations et dépenses. Idéal pour saisir la vie quotidienne médiévale.
  • Archives départementales de la Somme (AD80) : On y trouve des plans de la ville au fil des sièges, des séries de photos 14-18 et des recensements de population dès le début du XIXe.
  • Patrimoine oral : Depuis 2015, la médiathèque de Roye collecte témoignages d’anciens sur les périodes de guerre et les métiers disparus du XXe siècle.
  • Sources imprimées : On recommande “Roye, regards sur une ville meurtrie et renaissante” (Jean-Marie Lestocquoy, 1979), un ouvrage complet.

Mieux encore : une simple balade attentive permet de “lire” l’histoire dans les pierres, les plaques, ou la salle du conseil municipal, restituée selon les gravures anciennes.

La ville, entre ombre et lumière, toujours en mouvement


De bastions médiévaux aux ruelles du XXe siècle, Roye n’a cessé de se réinventer. C’est une ville d’épreuves, mais aussi d’ingéniosité : le goût du compromis comme celui de l’innovation. Marcher à Roye, c’est naviguer entre des époques superposées — une mémoire vivante qui invite à regarder, questionner et s’émerveiller encore, à chaque détour.

Sources principales : Archives départementales de la Somme, Service Historique de la Défense, Musée de la Picardie, “Roye, regards sur une ville meurtrie et renaissante” (J.-M. Lestocquoy), Dictionnaire historique de la Picardie (Dubois)

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