Roye : des ruines à la renaissance, le grand chantier du XXe siècle

14 juin 2025

La Grande Guerre : Roye rayée de la carte… ou presque


Le 7 mars 1917, quand les premières troupes françaises reprennent Roye, elles découvrent une ville fantôme. Entre 1914 et 1917, la commune a été le théâtre d’âpres combats, tenue par les Allemands puis pilonnée par l’artillerie. Les chiffres donnent le vertige :

  • 98 % des habitations sont détruites, selon les chiffres du ministère de la Reconstruction.
  • La collégiale Saint-Pierre, joyau gothique, n’est plus qu’un squelette de pierres.
  • La halle, les écoles, l’hôtel de ville, les commerces… tout part en poussière.

C’est tout un patrimoine, fruit de siècles, qui s’effondre en quelques mois. Les photographies d’époque (archives de la Bibliothèque nationale de France – Gallica) montrent un paysage lunaire, hérissé de moignons de murs et de cheminées solitaires. Mais c’est aussi le point de départ d’une aventure collective hors du commun.

Solidarité nationale et premiers plans de reconstruction


Comment relever une ville entière ? Sitôt la guerre achevée, Roye bénéficie du vaste mouvement de solidarité mis en place par l’État français. La ville reçoit notamment le parrainage de la ville de Neuilly-sur-Seine, qui l’aide financièrement et matériellement : c’est la fameuse période du « parrainage des communes dévastées », institutionnalisée en 1920.

  • 1919 : création d’une délégation spéciale pour la gestion de la ville sinistrée.
  • 1921 : adoption du plan d’urbanisme, confié à l’architecte Maurice Lucet, épaulé par les architectes Lefebvre, Depoilly et Ballu.

L’esprit est à la modernisation et à l’hygiène urbaine : on élargit les rues, on réorganise les places, on veut une ville “plus salubre et plus accueillante” (source : Archives départementales de la Somme).

Les grands chantiers de l’entre-deux-guerres : une ville “des Années 30”


La reconstruction se fait pierre après pierre, brique après brique. Plusieurs bâtiments emblématiques voient le jour ou renaissent dans leur enveloppe nouvelle :

  • L’hôtel de ville : reconstruit entre 1925 et 1927, dans un style néo-régionaliste.
  • La collégiale Saint-Pierre : reconstruite de 1922 à 1931, fidèle à son origine gothique, mais avec des techniques contemporaines et quelques touches d’art déco qu’on devine sur certains chapiteaux.
  • La Halle du marché : inaugurée en 1932, exemplaire du modernisme local mêlé à la tradition picarde.

On note aussi une volonté de confort : arrivée de l’eau courante, du tout-à-l’égout, amélioration de l’éclairage public… On construit également des “barraquements” provisoires, ces fameuses maisons en bois, héritage de la pénurie des années 1920 (le dernier exemplaire a été démonté à Roye en 1983).

La couleur du bâti change elle aussi : c’est l’âge des briques rouges, des toits à la Mansart et des décors stylisés. Roye se donne un visage « bénévole et courageux », tel que décrit dans « La Reconstruction des régions dévastées » (André Châtelain, Larousse, 1988).

Un boom démographique contenu

Contrairement à Saint-Quentin ou Péronne, Roye ne connaîtra pas de véritable explosion démographique—la population oscillera entre 4 500 et 5 200 habitants dans l’entre-deux-guerres (source : INSEE). Beaucoup de familles exilées ne reviennent pas, d’autres s’installent dans les nouveaux quartiers périphériques dessinés au sud de la ville.

De la Seconde Guerre mondiale à la modernité : un deuxième traumatisme… et une nouvelle adaptation


Comme un mauvais remake, la Seconde Guerre mondiale apporte sa part de ruines. En août 1944, Roye subit de nouveaux bombardements lors de la Libération. On estime à environ 120 immeubles détruits ou lourdement endommagés sur le bâti déjà reconstruit (source : archives municipales). Le moral en prend un coup, mais la machine de la reconstruction repart aussitôt : certains bâtiments seront de nouveau rebâtis ou réparés, avec cette fois une touche plus “fonctionnelle” typique des années 50–60 (on pense à certains immeubles d’habitation près de la gare).

C’est aussi à cette époque que se développe l’urbanisation de la périphérie : le quartier de la Faïencerie commence à sortir de terre dans les années cinquante, sur des anciens terrains maraîchers transformés en lotissements modernes (sources : Le Courrier Picard, archives locales).

Le visage d’une ville reconstruite : héritages et cicatrices


  • L’identité architecturale : Ce mélange de styles, si particulier à Roye, trouve son origine dans cette vaste campagne de reconstruction. Entre la collégiale néogothique, l’Art déco des écoles et commerces du centre, ou les barres plus fonctionnelles des années 50-60, la ville conserve une palette rare pour une ville de sa taille.
  • La mémoire vivace : Des stèles comme celle de la place de l’Hôtel de Ville, des plaques commémoratives, mais aussi d’innombrables détails urbains (blasons, dates gravées, armoiries sculptées) rappellent la saga de cette reconstruction.
  • La solidarité tissée dans la pierre : Le jumelage avec Neuilly, les comités de quartier, la renaissance associative font partie de l’ADN local. L’esprit de “remonter les murs ensemble” est souvent cité par les anciens Royens. Émile, ancien menuisier, témoignait en 1979 dans le bulletin municipal : « Ici, on n’a jamais bien voulu baisser les bras !»

Quelques chiffres pour mesurer l’ampleur du chantier


  • Plus de 2 600 édifices sinistrés recensés rien qu’en 1918 (source : Dossier officiel Ville de Roye, 1919).
  • 20 ans pour achever la réparation complète du centre-ville (de 1919 à 1939).
  • 24 millions de francs (anciens) investis par l’Etat et la ville pour la reconstruction dans l’entre-deux-guerres (source : Archives départementales de la Somme, dossier 147J).
  • La collégiale Saint-Pierre fut inaugurée à nouveau le 14 mai 1931 en présence de centaines de Royens et du clergé venu de la région entière – un symbole fédérateur.

Chantiers méconnus et anecdotes d’après-guerre : l’envers du décor


  • La reconstruction a permis à plusieurs artisans locaux de devenir de véritables entrepreneurs régionaux. Ainsi, la famille Lemaire, tuiliers installés à Roye depuis le XIX siècle, va exporter son savoir-faire bien au-delà de la Somme dans les années 20-30.
  • En 1923, le chantier de la halle tourne court durant deux mois à cause d’une pénurie de bois venue du… Canada ! Les habitants improvisent alors un marché “sous la tente” Place de l’Hôtel de Ville.
  • De nombreuses maisons portent encore des pierres de récupération, provenant des anciennes églises ou écoles. Les spécialistes parlent ici de “spolia” moderne.
  • La tradition de la Fête de la Reconnaissance (années 1920–1960), organisée chaque printemps pour célébrer les bienfaiteurs, Neuilly-sur-Seine, et mettre à l’honneur les bâtisseurs – une page d’histoire aujourd’hui oubliée…

Roye aujourd’hui : vivre avec la mémoire, avancer avec son temps


Ceux qui s’attardent dans les rues de Roye sentiront peut-être vibrer, derrière les façades soignées ou les alignements de tilleuls, cette incroyable énergie de la reconstruction. La ville ne porte pas ses blessures comme un fardeau, mais comme une force tranquille. Les traces du chaos sont là, adoucies par la vie qui a repris le dessus, préservées dans la brique, la pierre, la mémoire des familles et les photographies accrochées dans les cafés. Pourtant, Roye avance, avec cet esprit pragmatique et créatif hérité des grands chantiers du XX siècle. Peut-être est-ce cette capacité à toujours “faire avec”, à mêler souvenirs et nouvelles ambitions, qui signe le vrai caractère royen.

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