Roye dans la tourmente de 14-18 : blessures, résistances et renaissances

30 juin 2025

1914 : Roye, ville frontalière et stratégique


Quand la guerre éclate à l’été 1914, Roye se retrouve soudain en première ligne. Située entre Amiens et les plaines de l’Oise, la ville connaît une position charnière – et donc, stratégique. D’un coup, les trains bondés, la rumeur de l’offensive allemande, puis la panique : le 30 août, Roye est occupée par les troupes ennemies (source : Mémoire des Hommes). L’occupation durera près de trois ans.

Les habitants vivent alors dans la peur et le rationnement. Quelques chiffres témoignent de la réalité du moment : sur un peu plus de 4 400 habitants au début du conflit (source : recensement INSEE 1911), une partie prend la fuite ou est déplacée – certains y trouvent refuge, d’autres y vivent « prêts à tout, mais résolus » comme le note un témoignage de l’époque (Archives Départementales de la Somme).

Occupation et privations : le quotidien bouleversé


Sous l’occupation allemande, la vie à Roye s’organise « à la dure ». Les écoles ferment, les commerces tournent au ralenti, la mairie doit obéir aux ordres du commandement ennemi. Très vite, les habitants subissent :

  • Réquisitions : animaux, vivres, véhicules sont saisis pour les besoins de l’armée allemande
  • Rationnement des denrées alimentaires, parfois jusqu’à la disette
  • Occupation de bâtiments publics et privés, avec parfois des familles entières expulsées
  • Contrôle, arrestations et déportations ponctuelles (notamment d’otages civils ou de jeunes hommes jugés gênants)

Pour beaucoup, ce sont deux longues années à tenir, parfois en cachette, des petits gestes de résistance : messages clandestins, entraide discrète, caches de ravitaillement. Quelques habitantes jouent les passeuses, aidant soldats français et blessés. Le Graal ? Passer la ligne pour atteindre Amiens, restée française jusqu’en 1918 (source : témoignages recueillis dans « La Somme en guerre », Somogy Éditions d’Art).

La destruction de la ville en 1918 : Roye rasée, Roye défendue


Si la guerre a marqué Roye dès 1914, c’est l’année 1918 qui scelle son sort. Au printemps, lorsque la contre-offensive alliée se déclenche, Roye redevient un enjeu militaire. Le front évolue, la ville change plusieurs fois de mains : bombardements français pour la reprendre, bombardements allemands pour la défendre.

Le 26 mars 1918, la ville est reprise par les Allemands lors de la grande offensive du printemps (« Kaiserschlacht »). Elle restera occupée jusqu’au 26 août 1918, date à laquelle les troupes françaises la libèrent définitivement (source : Chemins de mémoire).

  • En quatre ans, la ville a changé plusieurs fois de main entre Français et Allemands.
  • Les combats sont terribles : la plupart des bâtiments sont touchés, incendiés ou dynamités – la mairie, l’église, les écoles, le théâtre…

Selon les rapports d’après-guerre, près de 95 % des habitations sont détruites lors de la libération en août 1918 (source : Archives nationales, Commission des dommages de guerre). Roye figure parmi les « villes martyrs » de la région, aux côtés de Péronne ou Saint-Quentin.

Victimes, héros et résistants de Roye


Au-delà des destructions matérielles, la Première Guerre mondiale marque surtout la population. À Roye, 235 civils sont morts à cause de la guerre ; beaucoup d’autres ont été blessés, déportés, ou ont fui (source : monument aux morts de la ville, recoupements INSEE).

  • Près de 450 soldats originaires de Roye et du canton ne reviendront pas du front.
  • Des dizaines d’enfants orphelins, des familles séparées.

Certains gestes de bravoure sont restés gravés : le sous-préfet Jules Elby, resté sur place pour organiser la résistance administrative ; des religieuses qui transportaient des messages sous les soutanes ; des jeunes femmes qui passaient « sous le nez des sentinelles » pour faire circuler informations et vivres.

Chaque rue de Roye est potentiellement liée à une histoire, parfois tragique, parfois émouvante, qu’on a retranscrite dans les registres communaux et les journaux locaux de l'époque. Les séances du conseil municipal témoignent des efforts pour tenir bon, même sous occupation.

Reconstruire Roye : entre modernité et mémoire (1919-1930)


Dès 1919, Roye entame sa reconstruction. Une véritable « ruée vers les chantiers », parfois improvisée, souvent volontaire. Mais tout n’est pas si simple :

  • La majorité des habitants doit loger dans des baraquements provisoires (les fameuses « baraques Adrian » en tôle)
  • Le centre-ville est réimaginé : la nouvelle mairie, vaste et imposante, sera reconstruite entre 1925 et 1928 dans un style néo-classique (source : Ministère de la Culture, base Mérimée)
  • La halle, les maisons du cœur de ville, les écoles : toutes ou presque rebâties entre 1921 et 1930
  • Certains quartiers conservent cependant des « cicatrices » visibles, des murs rafistolés où l’on devine encore, sous certains crépis, les tirs d’obus

La reconstruction, c’est aussi le soutien financier de l’État (indemnités, « heures de solidarité » dans le département) et, plus inattendu, l’aide de la ville américaine de Hartford, dans le Connecticut, qui parrainera Roye à partir de 1921 pour aider à sa reconstruction. Des liens d’amitié naissent, toujours commémorés aujourd’hui par des plaques et quelques échanges.

Les monuments et la mémoire : Roye se souvient


Partout dans la ville, la mémoire de 14-18 imprime sa marque. Mais à Roye, la commémoration s’est voulue pudique, parfois discrète mais profonde.

  • Le monument aux morts de la ville, inauguré en 1922, se dresse sur la place principale, face à la mairie reconstruite. On y lit le nom de près de 250 Royens tombés.
  • Les plaques rue Saint-Gilles rappellent des épisodes tragiques : l’effondrement de maisons, la mort d’enfants, les combats de rue.
  • Des archives familiales, des objets personnels (casques, gouges de tranchée, cartes postales) gardés dans les greniers ou transmis lors de la commémoration du Centenaire.

Fait marquant : chaque 11 novembre, Roye perpétue la tradition d’un cortège partant de la mairie vers le monument aux morts, en passant par les rues symboliques de la libération. De nombreux jeunes participent à ces cérémonies, qui allient travail de mémoire et devoir de transmission. Cela n’a rien d’artificiel : ici, le souvenir de la guerre est un ciment, une part d’identité.

Roye aujourd’hui : les cicatrices et les traces vivantes


Bien sûr, la ville a changé depuis la Grande Guerre. Pourtant, en y prêtant attention, il subsiste mille signes, souvent invisibles aux non-initiés :

  • Certains souterrains, vestiges des abris utilisés pendant les bombardements, existent encore sous le centre-ville.
  • Des portions de trottoir ou de murs conservent des impacts, à peine lissés par la restauration d’après-guerre.
  • Les bâtiments publics, très reconnaissables à leur style « entre-deux-guerres », marquent le paysage du cœur de ville.

Des associations locales, comme « Amitiés Royennes », organisent ponctuellement des balades guidées sur les traces de 14-18 : découverte des anciens postes de guet, lecture de lettres de poilus retrouvées dans des greniers, récits de familles royennes. Des initiatives essentielles pour garder vivant le souffle du passé.

Au fil du temps, c’est une Roye résiliente et jamais oublieuse qui se dessine. On pourrait croire, en baguenaudant dans ses ruelles, qu’ici tout n’est que calme et légèreté. Mais c’est aussi, profondément, une ville forgée par la guerre, reconstruite sur ses ruines, attachée à la mémoire de ses hommes et de ses femmes qui n’ont jamais baissé les bras.

Pour aller plus loin : où retrouver la mémoire de 14-18 à Roye ?


  • Le circuit patrimonial proposé par l’Office du Tourisme : balades guidées « Roye en guerre et en paix » à découvrir chaque automne
  • Les archives municipales – consultables sur rendez-vous – regorgent de carnets, de documents d’époque et de photos rares
  • Le « Livre d’Or » de la Ville de Roye (exemplaire consultable à la bibliothèque municipale)
  • Le site « Mémoire des Hommes » du ministère des Armées
  • Le Musée Somme 1916 à Albert : bon complément pour saisir le contexte régional

Roye porte haut le flambeau de cette mémoire. Non pas pour pleurer sur ses blessures, mais pour raconter le courage, l’espoir et la ténacité d’un territoire qui aura tout affronté — et tout reconstruit, main dans la main.

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