Roye, une sentinelle au cœur de la Picardie

17 juin 2025

Sur la route, entre brumes et pavés : petite scène de la vie roysienne


Parfois, lorsqu’on flâne sur la Place d’Armes de Roye au petit matin, on croise plus de silence que de passants. Mais il y a une énergie sous-jacente : celle d’une ville qui, depuis plus de mille ans, n’a jamais été simple point sur la carte. À chaque coin de rue, impossible de ne pas ressentir ce passé, comme si les murs eux-mêmes se rappelaient les échos d’armures et de bottes. Roye, discrète aujourd’hui, a pourtant été au centre de l’histoire de la Picardie, et bien plus qu’on ne l’imagine. À quoi doit-elle ce statut si particulier ?

Un carrefour géographique qui change tout


La fortune de Roye ne tient ni à l’or ni aux pierres précieuses, mais à une réalité vieille comme le monde : la géographie. Située à la croisée entre Amiens, Noyon, Compiègne et Péronne, au bord de l’ancienne chaussée Brunehaut — une voie romaine majeure reliant Boulogne-sur-Mer à Soissons —, Roye contrôle depuis l’Antiquité un axe de traversée naturel du nord de la France (Inventaire du patrimoine Hauts-de-France).

  • À vol d’oiseau, Paris n’est qu’à 100 km. Amiens à 45 km, Saint-Quentin à 50 km.
  • Le carrefour entre Île-de-France, Artois, Flandre et Champagne : un vrai nœud d’échanges politiques et commerciaux.
  • Le couloir Picardie : là où passaient routes, armées… et marchands.

Ce positionnement, c’était autant une bénédiction qu’une malédiction. Être sur le chemin, c’est attirer les voyageurs… mais aussi les envahisseurs.

Une ville qui voit défiler l’Histoire et les armées


Dès le Moyen Âge, Roye devient une pièce maîtresse dans les conflits entre rois de France, de Bourgogne, et d’Angleterre. Difficile d’imaginer aujourd’hui, près de la halle ou du château d’eau, qu’ici se menaient d’âpres négociations et de véritables sièges.

  • En 1328, Roye accueille le roi Philippe VI qui s’y réunit pour préparer la célèbre bataille de Crécy. (source : Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest)
  • En 1420, c’est la guerre de Cent Ans : la ville tombe aux mains des Bourguignons, alliés des Anglais. Elle changera plusieurs fois de “camp”.
  • Les fortifications de la ville, construites et améliorées au fil des siècles, témoignent de ce statut : des murailles entouraient tout le bourg, perforées de portes emblématiques comme la Porte de Paris.

Entre 1350 et 1650, pas une génération sans qu’on ne fortifie, ne répare, ou ne consolide les défenses. De la poudre, du plomb, et beaucoup de patience : la vie d’une ville de frontière.

Roye dans la poudrière franco-espagnole


L’époque moderne n’a pas vraiment adouci la vie locale. Avec la fin du Moyen Âge et les guerres d’Italie, puis les grands conflits franco-espagnols, Roye devient une “pièce d’échecs” disputée entre les grandes puissances européennes.

  • Dans les années 1636-1653, lors de la Guerre de Trente Ans puis de la Fronde, la ville est attaquée à de multiples reprises par les troupes espagnoles venues des Pays-Bas du Sud.
  • Siège de 1636 : 10 000 soldats espagnols encerclent Roye. La ville résiste un temps, mais doit capituler — un épisode qui traumatise durablement les habitants (source : Histoire Picardie).
  • Louis XIII puis Louis XIV ordonnent la modernisation des défenses. Vauban lui-même signera quelques recommandations (même si la ville ne deviendra jamais une “vraie” place à la Vauban).
  • Jusqu’à la Révolution, Roye conserve une garnison permanente.

Être ville “frontière”, c’est aussi vivre avec le bruit des canons… et, plus discret, celui du commerce qui renaît dès que le calme revient.

Une place-forte qui surveille la Somme


Le secret de l’importance de Roye ? Son rapport avec la rivière Somme. Même éloignée de quelques kilomètres du fleuve, la ville surveille et protège la traversée des marais. Les armées le savent : contrôler Roye, c’est maîtriser les flux entre Paris et le nord.

  • La Somme, ligne de défense naturelle : Jusqu’à l’arrivée du chemin de fer, qui n’arrivera à Roye qu’en 1870, toute incursion ennemie doit franchir cette barrière naturelle. La ville organisait les passages, protégeait les ponts et les bourgs alentours.
  • Centre économique régional : Sa foire (dite “Saint-Martin”) et ses marchés drainaient des commerçants de toute la région, venant profiter de passer plus “en sécurité” par l’étape de Roye.

Roye, c’est un peu le “contrôle douanier” officiel et officieux, bien avant Schengen !

De la forteresse médiévale au refuge des civils


Les fortifications de Roye ne sont pas restées que des remparts de pierres ; elles se sont aussi transformées, au fil de l’histoire, en abris pour la population, jadis chaque fois que la région était menacée. Durant les invasions (espagnoles, puis allemandes plus tard), l’afflux de réfugiés était tel que Roye a parfois vu sa population doubler temporairement au fil des crises.

  • En 1870, guerre franco-prussienne : 1700 habitants inscrits sur les registres de la ville, mais plus de 3000 recensés provisoirement pendant le siège (source : Archives municipales).
  • La ville détruite à 80% en août 1918 lors de la contre-offensive allemande de la Première Guerre mondiale (source : Mémoire des Hommes). Sa reconstruction, amorcée dès 1919, a façonné le Roye que l’on connaît aujourd’hui.

Voilà pourquoi l’architecture de Roye mélange les styles : un peu de Moyen Âge, des souvenirs de l’avant-guerre, et beaucoup de modernité “Années 20”.

Petites et grandes anecdotes de la stratégie à la roysienne


  • En 1567, la reine Catherine de Médicis stationne à Roye, redoutant une attaque huguenote. La cour s’installe (avec vivres et vin de Champagne !), preuve que la ville reste un véritable “bastion-refuge” pour les puissants.
  • D’après la légende locale, Napoléon aurait envisagé d’y établir une garnison pour garder la route de Belgique. Si l’idée n’a jamais été réalisée, on aime en reparler lors des visites guidées estivales.
  • Plus cher aux cœurs, le monument aux morts actuel rend hommage, non seulement aux soldats morts pour la France, mais aussi aux habitants qui, par leur seule présence, ont affronté si souvent l’incertitude des sièges.

Pourquoi tout cela a compté — et compte encore


Si Roye n’est plus aujourd’hui une ville de “frontières” militaires, elle garde un rôle de carrefour, à la croisée de grandes routes, des mobilités et de la vie locale. Son histoire, c’est celle d’une cité qui n’a jamais choisi son destin, mais l’a forgé à force de résistances, de reconstructions et de courage tranquille. Aujourd’hui, quand on emprunte la RN17 ou l’A1 (nommée “autoroute du Nord”) qui longe la commune, difficile d’imaginer qu’autrefois, la moindre armée rêvait de la franchir… ou de s’y arrêter.

Peut-être est-ce la raison pour laquelle Roye nous touche autant. Parce qu’ici, entre brume, pavés et mémoire, on vit au rythme du passé… sans jamais s’y enfermer.

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