Le cimetière militaire britannique de Roye : une mémoire vivante au cœur de la ville

5 septembre 2025

Un matin d’automne au pied des pierres blanches


Imaginez : un matin frisquet, un léger brouillard qui flotte sur les premiers champs à la sortie de Roye. Ici, le long de l’avenue du Général Leclerc, on tombe presque par surprise sur un carré de pelouse impeccablement entretenu, où les stèles blanches s’alignent, sobres, immobiles. On entend parfois rien que le souffle du vent ou, l’été, le crissement lointain d’un vélo sur le bitume. Sur la grille : “Roye British Cemetery, Commonwealth War Graves Commission”. C’est un autre monde, mais il appartient au nôtre. Ce cimetière militaire britannique est discret, mais il est essentiel. Pourquoi ? C’est ce que nous allons explorer ensemble.

Un héritage de la Grande Guerre, exceptionnel à Roye


Difficile aujourd’hui d’imaginer ce que fut Roye il y a un siècle. Ville martyre, située sur la ligne de front pendant la Première Guerre mondiale, Roye a été tour à tour occupée, libérée puis à nouveau détruite entre 1914 et 1918. Quand on parle de “zones marquées par la guerre” dans la Somme, Roye se retient rarement en première réponse – on pense souvent d’abord à Péronne, Albert, Villers-Bretonneux. Pourtant, Roye a connu des heures sombres et le cimetière militaire britannique en est un témoin direct.

Ce cimetière n'est pas le plus grand du département, ni le plus visité. Il est pourtant spécial. Ouvert en mars 1918 en pleine “grande offensive allemande” — la fameuse Kaiserschlacht, aussi appelée « bataille du Printemps » — il accueille aujourd'hui 241 soldats tombés entre 1918 et 1919.

  • 239 Britanniques dont la plupart sont décédés lors de la reprise de la ville par le corps expéditionnaire britannique entre août et septembre 1918.
  • 2 Canadiens, rappelant la dimension internationale de l’engagement allié.

(Source : Commonwealth War Graves Commission, CWGC.org)

Qui sont les soldats du cimetière de Roye ?


Derrière chaque stèle, un nom — parfois, une identité inconnue, l’inscription “A Soldier of the Great War”. Dès qu’on s’attarde, les dates nous frappent : nombre de soldats y sont tombés à moins de vingt-cinq ans. Parmi eux, plusieurs membres du Royal Sussex Regiment, du Yorkshire Regiment ou du Highland Light Infantry.

Si la plupart proviennent d’unités classiques de l’armée britannique, on trouve aussi la trace de soldats du Labour Corps, et – plus rare – de porteurs indiens, ces ouvriers civils recrutés dans l’Empire pour soutenir l’effort logistique et souvent, bien peu célébrés. Ce cimetière, comme bien d’autres de la région, témoigne ainsi d’un effort de guerre collectif à l’échelle du continent… et même du monde.

  • Le plus jeune inscrit, Herbert James Wilson, Royal Sussex Regiment, est décédé à 18 ans.
  • On lit parfois, sur certaines tombes, “Known unto God”, réservée à ceux dont l’identité n’a jamais pu être confirmée.
  • Deux médecins y reposent également, morts lors des bombardements sur les postes de secours.

Comment ces tombes racontent-elles la Grande Guerre à Roye ?


Le cimetière britannique de Roye est modeste mais il dit beaucoup sur les combats locaux. Sa création en mars 1918 correspond au moment où Roye, aux mains des Allemands depuis 1914, redevient un enjeu crucial. La contre-offensive alliée de l’été est violente ; la ville sera presque entièrement rasée à l’issue des combats d’août 1918. Le “Ground of the Fallen” de Roye n’est pas qu’un hasard logistique : il est placé là où les pertes furent les plus terribles lors de la reprise de la ville.

  • La prise de Roye par la 3e Division britannique, le 26 août 1918, fait partie des combats décisifs du front Ouest lors des “Cent Jours”.
  • Beaucoup de soldats mourront dans les jours qui suivent, victimes des derniers tirs d’artillerie ou touchés par les maladies qui ravagent les rangs (notamment la grippe espagnole).
  • Plusieurs soldats enterrés au cimetière furent initialement inhumés dans des sépultures temporaires, puis ramenés à Roye à la demande du War Office.

À travers ces pierres blanches qui forment, en quelque sorte, une carte des anciens combats, on perçoit l’intensité du chaos qui régnait alors en périphérie de la ville. C’est ce qui fait la force, mais aussi la sobriété, de ce lieu.

Le “modèle” britannique des cimetières militaires : un marqueur d’identité


Le cimetière de Roye n’a pas seulement un intérêt local, il s’inscrit aussi dans l'histoire de la mémoire britannique, et de la Commonwealth War Graves Commission (CWGC). Créée en 1917 sous le nom d’Imperial War Graves Commission, cette institution a érigé un modèle unique pour honorer les morts : stèles en pierre blanche, inscriptions sobres, symbole religieux neutre, aucun grade mis en avant.

  • Le lieu, même petit, respecte les codes : allées symétriques, floraison de roses (au printemps), croix du sacrifice en pierre.
  • Pas de séparation “nobles anonymes”, tout le monde est égaux devant la mort.
  • L’entretien est assuré chaque année par des agents de la CWGC, venant parfois d’Angleterre ou des Pays-Bas.

Ce modèle fait du cimetière non un simple “champ de morts”, mais un jardin à la mémoire anglaise, une sorte de lieu de paix volontaire, de reconstruction post-traumatique. C’est ce qui fascine tellement les visiteurs britanniques, qui repartent souvent bouleversés, mais apaisés, par ce type de visite.

(Source : Site CWGC, “Our History”)

Quelle place dans la ville aujourd’hui ?


Ce qui frappe à Roye, c’est que ce cimetière fait partie du tissu urbain : il touche la cour d’une école, on y croise régulièrement des riverains qui entretiennent les massifs, ou de rares familles britanniques descendant encore, parfois, sur la tombe lointaine d’un aïeul. Peu de cérémonies officielles, hors 11 novembre ou visites protocolaires : c’est un site discret, parfois même “oublié” des parcours touristiques classiques.

  • Il n’est pas rare de croiser un bouquet déposé par une main anonyme, souvent lors des périodes de commémorations.
  • Lors de certaines dates symboliques (Armistice, D-Day, Remembrance Day) des groupes scolaires de Roye viennent pour apprendre « en vrai » ce que fut le sacrifice des hommes venus de loin.
  • On y voit parfois, tags et périodes d’abandon aidant, des bénévoles locaux œuvrer pour rendre leur dignité aux lieux.

Ce cimetière n’est pas « monumental » à la manière du grand cimetière de Villers-Bretonneux, mais il symbolise profondément la réconciliation et la mémoire partagée : on y lit, sur plusieurs tombes, des vers ajoutés par les familles — parfois en vieux gallois, parfois en écossais —, preuve que ces tombes sont encore vivantes dans les mémoires familiales d’outre-Manche.

Une mémoire à préserver, un lieu à visiter autrement


Aller au cimetière militaire britannique de Roye, ce n’est pas cocher une case du “tourisme de mémoire”. C’est mesurer, physiquement, combien la ville — et la Somme — ont été bouleversées par la guerre de 14-18. Ce jardin silencieux nous rappelle que l’histoire n’est ni écrite, ni figée, qu’elle se transmet, un prénom après l’autre.

Roye, à travers ce cimetière, offre un visage de la Grande Guerre à échelle humaine : 241 pierres blanches, loin de la foule, pour se souvenir que la paix est toujours un combat quotidien. Tout ça, à quelques minutes à pied du centre-ville, sur notre trajet du matin ou du soir — comme une invitation à ne pas oublier ce qui nous a précédés.

Pour aller plus loin


  • Visiter : Le cimetière est librement accessible, toute l’année, avenue du Général Leclerc. Panneaux trilingues sur place.
  • En savoir plus sur les tombes et les soldats : base en ligne sur CWGC.org
  • Histoire locale : ouvrages de référence comme “La Somme en 14-18” (Éditions Ouest-France) ou “Picardie, territoire de mémoire” (Coédition Département Somme)

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