Roye et ses alentours : sur les traces discrètes de la Première Guerre mondiale

8 septembre 2025

Pourquoi Roye ? Un carrefour stratégique entre Somme et Santerre


Pas besoin d’avoir la fibre militaire pour savoir que Roye a payé un lourd tribut à la guerre. Occupé par les Allemands dès septembre 1914, la ville sert de point de passage, de base logistique, puis de ligne de front. Le secteur, à 35 kilomètres à l’est d’Amiens, devient stratégique lors des grandes offensives alliées comme allemandes.

Entre 1914 et la libération de 1918, Roye change plusieurs fois de mains, subit bombardements, incendies et destructions (source : Inventaire général du patrimoine culturel, Région Hauts-de-France). En 1918, la ville n’est plus qu’un champ de ruines, démographie en berne, paysage bouleversé… et des traces, partout.

Blockhaus et abris : petits géants du paysage


À quelques kilomètres autour de Roye, les vestiges de béton pointent timidement le nez. Les blockhaus de la Première Guerre mondiale ne sont pas les mastodontes du Mur de l’Atlantique, mais ils sont là, parfois perdu dans les haies ou à flanc de bois :

  • Bois de l’Abbaye (Liancourt-Fosse) : Plusieurs abris bétonnés y subsistent. On les trouve en regardant bien près des sentiers, recouverts de mousse ou dissimulés par la végétation. Ces abris côtoyaient les fameuses « tranchées allemandes », peu profondes en Picardie en raison de la nappe phréatique. Certains abris servaient encore aux exercices de la Défense passive lors de la Seconde Guerre.
  • That Camp de Tilloloy : Ce campement britannique tenu courant 1917-1918, à deux pas de la limite Somme-Oise, dévoile quelques restes de fondations, alignements de briques et bases de baraquements (Source : Commonwealth War Graves Commission & inventaire du ministère de la Défense britannique).
  • Marchepied du Canal du Nord : Sur les rives, des abris de tir et casemates construits par les troupes occupantes subsistent sous l’herbe haute. Certains ont vu défiler des régiments allemands, puis français ou britanniques lors de la contre-offensive.

Ils ne sont pas ouverts à la visite, mais il reste possible de les apercevoir, avec un bon œil et un peu de chance. Mieux vaut une sortie accompagnée d’un guide local pour éviter les mauvaises surprises (champs privés, risques d’effondrement).

Monuments commémoratifs et chapelles du souvenir


Roye et sa campagne hébergent plusieurs monuments, souvent passés inaperçus au quotidien, mais qui tracent une cartographie de la guerre :

  • Monument aux Morts de Roye, avenue de la République : Inauguré en 1922, ce mémorial est un témoignage d’une ville meurtrie. Son inauguration a réuni 2500 personnes, chiffre colossal dans une Roye à moitié en ruines à l’époque (Source : Archives départementales de la Somme).
  • Stèle de Marché-Allouarde : Dédicacée au 24e bataillon de chasseurs alpins, tombés ici en 1918 lors de la reconquête du secteur. Les bataillons de montagne dans la plaine, cela étonne toujours, mais le choc fut sanglant et décisif.
  • Chapelle Notre-Dame-de-la-Paix (Roye) : Bâtie en 1922-1926, elle est née du vœu des habitants, exprimé alors que la ville brûlait sous les obus en mars 1918. À l’intérieur, de nombreux ex-voto militaires – uniformes, plaques – font écho à la ferveur pacifique d’après-guerre (Source : site de la paroisse de Roye).

Au détour d’une petite route ou dans le vieux cimetière, d’autres plaques commémoratives rappellent la présence de soldats étrangers : Britanniques, Canadiens, Portugais, Américains… Le triangle Roye–Montdidier–Ressons-sur-Matz fut l’un des principaux secteurs de passage des troupes alliées en 1918.

Cimetières et sépultures : la mémoire des soldats du monde entier


Impossible de parler des vestiges de la Grande Guerre sans évoquer les nécropoles où reposent, paisiblement, des milliers de soldats venus de loin :

  • Cimetière Militaire Britannique de Roye : Situé à l’est de la ville, il accueille 565 tombes, majoritairement britanniques tombées entre mars et août 1918. Parmi elles, quelques soldats d’Afrique du Sud ou du Commonwealth, assez rares dans la Somme (Source : Commonwealth War Graves Commission).
  • Cimetière Militaire Français de Roye, route de Matigny : 1928 corps français identifiés (dont 57 en ossuaire), et 137 soldats alliés. Un corridor impressionnant de croix blanches, dont certaines portent la trace d’impacts ou de réparations d’après-guerre.
  • Nécropole allemande de Montdidier (à 15 km au sud) : Si elle n’est pas strictement sur Roye, elle rassemble 8470 corps allemands – beaucoup sont tombés lors de la poussée de l’été 1918. À noter que près d’un millier y sont encore inconnus.

Lors de certaines saisons, des drapeaux étrangers ou des couronnes renouvelées trahissent la visite des descendants ou de délégations nationales. C’est un lieu de mémoire mais aussi un paysage vivant, parfois envahi par la rosée matinale et le chant discret des oiseaux.

Ruines ré-inventées et indices “ordinaires” dans le quotidien


La reconstruction de Roye après-guerre a transformé la physionomie de la ville, mais laisse subsister quelques signes, à qui sait regarder :

  1. Bâtiments “années 20” : Le centre de Roye est un immense chantier en 1920. Pavillons de brique polychrome, écoles au plan rationnel, hôtels particuliers bourgeois reconstruits grâce à ce qui fut appelé les “dégâts de guerre” (aides de l’État). Beaucoup de bâtiments affichent une plaque “Contributeur à la reconstruction”, ou encore des bas-reliefs symbolisant la renaissance après les ruines.
  2. Traces dans les champs : En 2015, une étude menée par l’INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives) relevait que dans les plaines autour de Roye, un hectare sur dix livre encore des vestiges (douilles, éclats, morceaux de matériel militaire). Des agriculteurs parlent d’avoir “moissonné” parfois une grenade ou un casque, cent ans après [Source : INRAP, “La Grande Guerre dans le sol picard”].
  3. Le réseau ferroviaire réadapté : La gare de Roye a joué un rôle vital pendant le conflit. Les voies furent sabotées, déplacées, remises en état. Les talus ferroviaires autour de Goyencourt ou Cressy-Omencourt cachent parfois les bases d’anciens entrepôts logistiques.

D’autres indices, plus “anonymes”, peuplent Roye : un nom de rue “du 31 Mars 1918” (date de la reconquête française), une borne de la ligne Hindenburg redécouverte près d’Epénancourt, ou les façades percées de réparations en brique rouge, signature d’une reconstruction hâtive.

Histoires et anecdotes : 1918, l’année décisive


On n’imagine pas, mais la population de Roye a été divisée par cinq entre 1914 et 1918, passant de près de 7 000 à 1 400 habitants en septembre 1918 (Source : recensements municipaux). Une hémorragie due à l’exode, à la mort… et à la déportation d’une partie de la population civile par l’occupant allemand en 1916, épisode resté longtemps méconnu.

Autre fait moins connu : lors de la grande offensive allemande de mars 1918, la plupart des civils restants sont évacués de force et marchent jusqu’à Chaulnes ou Ham. Beaucoup reviendront après la guerre, trouvant leur maison disparue, parfois reconstruite à l’identique… ou jamais remise sur pied.

En juillet 1918, après la deuxième bataille de la Marne, Roye redevient un carrefour pour les troupes françaises et américaines montantes vers l’Est. On raconte que le pont du canal, sauté trois fois de suite, était surnommé “le pont des revenants” par les sapeurs du génie (témoignage recueilli dans “Sur les routes de la Victoire, Picardie 1918”, Éditions Ouest-France).

Pourquoi ces vestiges marquent-ils encore le territoire ?


Au fond, pourquoi tant d’attention portée à ces traces ? Parce que ce sont elles qui permettent de donner du sens au paysage d’aujourd’hui. Les vestiges de la Grande Guerre autour de Roye ne se limitent pas à quelques monuments impressionnants : ils fragmentent la mémoire, tissent des liens entre les générations. Entre la vie ordinaire qui a repris, et les échos silencieux des drames passés.

  • Préserver la mémoire locale : Les initiatives d’associations, de guides et d’enseignants locaux permettent d’entretenir ce patrimoine discret.
  • Transmission rurale : Dans les villages, la mémoire de la guerre passe aussi par les anciens qui racontent l’histoire du “petit bois du Kaiser”, du “champ maudit”, des grenades ramassées à la moisson.
  • Tourisme de mémoire : Chaque année, plus de 12 000 visiteurs s’arrêtent dans les cimetières militaires du secteur Roye-Montdidier, souvent de passage vers la Somme mais sensibles à ces lieux apaisés (Source : Office de Tourisme du Grand Roye).

Un autre regard sur notre paysage


Les vestiges de la Première Guerre autour de Roye ne se livrent jamais d’un seul bloc : il faut lever les yeux, arpenter les chemins, écouter, parfois même rêver un peu. Entre béton lichenisé, croix blanches, souvenirs de familles et pierres noircies, ils offrent une porte vers le passé — sans immobiliser le présent. À chacun de trouver son morceau d’histoire, sous la lumière capricieuse du pays de Santerre.

En savoir plus à ce sujet :