Le monument aux morts de Roye : gardien d’histoires et d’émotions collectives

2 septembre 2025

Une rencontre silencieuse, chaque matin


Qui passe encore sans y jeter un œil ? Sur la place du Général de Gaulle, le monument aux morts de Roye s’invite à notre quotidien. Il a ce pouvoir discret : marquer le paysage sans bruit, veiller sans donner d’ordres. Quand on le regarde – le matin aux premiers rayons ou le soir quand la ville s’apaise – on se surprend à ralentir. Instant de recueillement ou pensée fugace, l’effet est là. Mais au fond, quel rôle joue-t-il vraiment dans notre mémoire collective ? Pour comprendre, il faut plonger dans la petite histoire, entre pierre, noms gravés, et transmission vivante.

Un monument pour qui, pour quoi ? Retour sur sa création


Le 19 juillet 1925, on rassemble la ville. La cloche sonne, quelques chapeaux noirs, des bouquets discrets : il est alors tout neuf, ce monument, érigé au cœur de Roye. À l’époque, les séquelles de la Première Guerre mondiale sont partout : ici, Roye sort meurtrie des combats et des bombardements de 1914-1918. Plus de 85 % de la ville a été détruite (source : Wikipédia Roye), et la population n’a pas encore pansé ses plaies. Le monument, œuvre du sculpteur Albert Roze, est alors pensé comme un symbole : hommage aux 322 morts de la commune pendant la Grande Guerre (source : "Le Monument aux Morts de Roye", mairie de Roye).

  • Date d’inauguration : 19 juillet 1925
  • Œuvre de : Albert Roze, sculpteur reconnu d’Amiens
  • Défis de l’époque : Ville détruite à 85%, reconstruction douloureuse, volonté de mémoire

C’est un geste – collectif – pour dire : on se souvient, on avance, mais on n’oublie pas.

Rituel et rassemblement : le monument au cœur de la vie locale


Le monument aux morts ne vit pas que d’inaugurations passées. Il orchestre la mémoire à travers les rituels. Deux dates rythment particulièrement la vie roysienne :

  • Le 8 mai – commémoration de la Victoire de 1945
  • Le 11 novembre – souvenir de l’Armistice de 1918

À ces moments précis, on se rassemble, toutes générations confondues. Les anciens racontent aux plus jeunes, les drapeaux claquent, les noms résonnent au micro du maire. Certains soirs, quelques élèves déposent une gerbe – pour beaucoup, c’est la première rencontre avec le passé, celui de la guerre et du deuil.

Le monument joue ici un double rôle :

  1. Fédérer autour du souvenir : L’émotion collective crée la cohésion, un “nous” qui fait la communauté.
  2. Transmettre l’histoire : À travers les cérémonies, la ville enseigne ses cicatrices et ses valeurs.

Pour certains, c’est une mémoire héritée à travers les générations ; pour d’autres, un apprentissage ou une découverte. Mais à chaque cérémonie, on tisse de nouveaux liens avec ce passé partagé.

Un livre ouvert : noms, symboles et silence


Sur le monument, pas de grandes phrases. Les noms, gravés en lettres sobres, s’enchaînent : soldats de Roye tombés dans les deux guerres mondiales, mais aussi victimes civiles. C’est là toute la force d’un monument local : il incarne l’histoire du bourg et de ses familles, il personnalise l’Histoire avec un grand H.

  • Plus de 320 noms (pour la seule Première Guerre mondiale), auxquels se sont ajoutés ceux de 39-45, d’Indochine et d’Algérie.
  • Des inscriptions sobres : “À ses enfants morts pour la France”
  • Des symboles : Palme du martyr, croix de guerre, couronnes de lauriers sculptées par Roze

On aime dire que c’est “un livre ouvert sur la place”. Chacun retrouve un nom connu, un ancêtre. C’est aussi le silence qui entoure le monument qui porte du sens. Le silence du recueillement, mais aussi de l’absence – celle de ceux qui ne reviendront pas.

Entre Histoire et actualité : une mémoire qui évolue


Mais le monument n’est pas figé dans le marbre. Parfois, la ville y ajoute une plaque d’hommage ou un nouveau nom, à la faveur de découvertes ou de délibérations municipales. Ainsi, dans les années 1950 et 1960, on a gravé ceux de la Seconde Guerre mondiale. Plus récemment, une plaque rend hommage aux victimes civiles des rafles de 1944, longtemps restées dans l’ombre (source : Mairie de Roye, archives locales).

C’est dire si le monument reste vivant, capable de s’adapter à l’évolution de notre regard sur l’Histoire. Les débats sur la mémoire coloniale, ou sur la reconnaissance des civils, montrent bien que le monument n’est pas seulement un témoin du passé, mais un miroir de la société qui l’entoure.

Un repère dans la ville et dans les vies


Difficile d’imaginer la place du Général-de-Gaulle sans lui. Il structure l’espace urbain. Certains s’y retrouvent pour un rendez-vous, d’autres l’utilisent comme point de repère pour expliquer le chemin (“Tu tournes au monument aux morts, et c’est la deuxième à gauche !”). Il n’est donc pas qu’un espace de commémoration : il fait partie de l’identité roysienne. Les écoles organisent des visites pédagogiques ; les photographies de cérémonies trônent dans les albums municipaux ; parfois, on y croise des touristes, qui s’arrêtent, lisent un nom, puis lèvent les yeux vers l’église Saint-Pierre.

  • Lieu de mémoire, mais aussi de vie quotidienne
  • Porteur d’identité locale : Un point d’ancrage collectif
  • Support pédagogique : Lieu d’apprentissage pour les jeunes

Des anecdotes et des histoires humaines


L’histoire du monument, c’est aussi celle de ceux qui le veillent. On se rappelle ce 11 novembre 2018, centenaire oblige : la foule nombreuse, les enfants entonnant la Marseillaise, et la pluie qui n’avait pas dissuadé les plus anciens de venir, parapluie en main, rassemblés autour d’un fils, petit-fils ou arrière-petit-fils.

Autre détail : certains noms inscrits sur le monument aux morts de Roye se retrouvent aussi sur le mémorial de la Somme, à Longueval ou à Thiepval. Les familles retrouvent ainsi leurs racines, parfois sur plusieurs générations, dans différentes villes ou villages du département (voir : Somme 14-18).

Il y a aussi les bouquets déposés en dehors des cérémonies, plus discrets, témoins d’un chagrin intime ou d’une fidélité à l’écart du regard officiel.

Entre transmission et questionnements : quelle place pour demain ?


Le rôle du monument aux morts de Roye s’invente aussi au fil du temps. L’érosion de la mémoire, le renouvellement des générations, posent la question de l’avenir. Comment continuer à transmettre ce qu’il incarne ?

  • En diversifiant les formes de commémoration : musique, théâtre, témoignages…
  • En intégrant la mémoire civile et la diversité des parcours : femmes, populations déplacées, exilés…
  • En rendant le monument vivant, par des ateliers pédagogiques, des visites guidées, ou la mise en ligne d’archives (comme le font certaines villes de la Somme et associations locales – voir : MemorialGenWeb).

Si le monument ne bouge pas, c’est à nous de renouveler notre regard afin que la mémoire soit toujours un acte collectif, et non un simple rituel vidé de sens.

Le monument, boussole de la mémoire collective roysienne


Au fond, le monument aux morts de Roye n’est pas seulement une statue parmi d’autres. Il est notre point cardinal, le centrum autour duquel gravite tout un pan de l’identité locale. Il parle de souffrance, d’espoir, de transmission, d’appartenance. Il nous dit “voilà d’où nous venons”, et, parfois, “regardez où nous allons”.

À chacun de s’emparer de son histoire, de la partager, ou simplement de s’arrêter un instant en passant devant. Car dans la discrétion de la place, c’est notre mémoire collective qui se joue, chaque jour, tout près de nous.

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