Sur les pas du passé : explorer les vestiges de la Seconde Guerre mondiale à Roye

11 juin 2025

Un matin de brouillard et la mémoire ressurgit


Il suffit souvent d’un détail pour que le passé nous rattrape. Un matin de brouillard sur la place de l’Hôtel de Ville, et voilà qu’on imagine, malgré nous, l’agitation d’un autre temps : convois militaires, files d’attente au rationnement, silhouettes inquiètes. À Roye, l’histoire récente se niche dans les pierres, sous l’asphalte et jusque dans certains regards. La Seconde Guerre mondiale, si proche et déjà lointaine, a laissé ses empreintes. Discrètes parfois, mais toujours là pour qui sait les voir.

Roye pendant la guerre : un carrefour stratégique bousculé


Situer Roye sur une carte, c’est comprendre tout de suite son importance en 1939-1945. La ville, au croisement de la RN17, entre Amiens et Compiègne, contrôle alors un axe majeur entre Paris et le front du Nord. Lorsque les armées allemandes franchissent la Somme en juin 1940, Roye n’est pas épargnée. Bombardée, occupée, transformée au gré des besoins militaires, la cité et ses 5000 habitants (population civile estimée en 1940 selon l’INSEE) voient défiler uniformes et camions sous la Kommandantur installée en centre-ville.

Les militaires allemands font du secteur un nœud logistique appréciable, notamment pour le transit matériel, l’expédition de troupes et le contrôle des voies ferroviaires. Plusieurs bâtiments sont réquisitionnés, la vie quotidienne se réorganise sous contrainte et l’économie locale tourne au ralenti (Archives départementales de la Somme).

Ruines visibles et reconstructions : le centre-ville marqué à jamais


Premier détail que l’on peut encore repérer aujourd’hui : le centre-ville porte les stigmates de ses destructions. En juin 1940, et à nouveau en 1944, Roye subit plusieurs bombardements alliés visant les gares et les infrastructures utilisées par les troupes allemandes. Selon les archives municipales, près de 70% du centre-ville est détruit ou gravement endommagé lors de ces attaques.

Ce passé se lit :

  • Dans les alignements d’immeubles reconstruits : une partie de la Grand’Rue et certaines rues adjacentes présentent des bâtiments homogènes, « de type années 50 », souvent reconnaissables à leurs façades en pierre claire et toits mansardés. C’est l’une des conséquences directes du plan de reconstruction signé en 1946 par l’État (source : Mémoires de Pierre).
  • Sur la façade de l’église Saint-Pierre : bien que partiellement épargnée, celle-ci présente des réparations visibles, et des pierres plus claires remodelées après la guerre.
  • À l’Hôtel de Ville : l’actuel bâtiment, inauguré en 1951, remplace l’édifice ancien, détruit en 1940. Le style “monumental” tranche et a été pensé pour symboliser la résilience de la ville.

Autant de cicatrices et de renouveaux visibles au fil d’une promenade, dès qu’on lève le nez.

Bunkers et abris : l’autre versant du paysage urbain


La guerre a transformé la campagne picarde en un vaste champ fortifié. Si le secteur de Roye n’était pas une « ville-bunker » à l’image de la côte ou de Saint-Quentin, plusieurs éléments subsistent, nichés à la périphérie immédiate ou dans la plaine :

  1. Les abris anti-aériens et blockhaus
    • En bordure de la RN17, à la sortie nord, il subsiste un petit blockhaus bétonné, souvent masqué par la végétation au printemps. Il s’agissait d’un abri pour les patrouilles allemandes surveillant l’axe.
    • Au sud-est de la commune, une ancienne tranchée bétonnée est aujourd’hui méconnue, mais elle servait de poste d’observation allemand (référencé dans le recensement des “ouvrages défensifs” par le Service Patrimoine de la Somme).
  2. Les caveaux et sous-sols utilisés comme refuges
    • Beaucoup d’habitants de Roye se sont réfugiés lors des alertes dans leurs caves, dont certaines conservent encore, sous les maisons anciennes, des graffitis ou inscriptions datés “44” ou “Vive la liberté !” retrouvés par hasard lors de rénovations (témoignages recueillis par la Société d’Histoire Locale de Roye).

La plupart de ces abris sont aujourd’hui privés ou d’accès limité, mais on devine parfois leur silhouette trapue ou leur entrée murée dans le paysage – clin d’œil muet à la peur et à la prudence des années noires.

Stèles, plaques et cimetières : la mémoire à ciel ouvert


Si les traces matérielles semblent parfois discrètes, Roye n’a pas oublié ses souffrances et ses héros. Plusieurs lieux de mémoire perpétuent la trace de la guerre :

  • La stèle des Martyrs, rue Victor Hugo : elle rend hommage aux victimes civiles des bombardements, ainsi qu’aux résistants fusillés ou déportés. Les noms gravés rappellent l’engagement local : Jean Pichet, facteur ayant servi de relais au réseau “Honneur et Patrie”, fut arrêté puis déporté à Buchenwald (source : Mémoire des Hommes).
  • Le monument aux morts du square Gambetta : initialement dédié aux morts de 14-18, il a été adapté dans les années 1950 pour intégrer une plaque aux victimes de 1939-1945 et des conflits ultérieurs.
  • Le cimetière communal : plusieurs tombes portent la mention « Mort pour la France 1940-1944 », et une section regroupe les tombes de soldats britanniques et canadiens tués lors des combats de libération en août 1944 (voir l’inventaire Commonwealth War Graves Commission).

Régulièrement fleuris lors des commémorations, ces lieux rappellent l’écho encore frais de la guerre dans la vie locale.

Histoires courageuses et anecdotes d’enfance : transmission d’une mémoire « de tous les jours »


À Roye, la guerre ne vit pas seulement dans les pierres et les stèles. Elle affleure dans les récits captés autour d’un café ou d’un marché :

  • Certains se souviennent de la “nuit sans lumière” où la coupure totale d’électricité avait plongé toute la ville dans le noir absolu, juste avant l’arrivée des troupes alliées – un épisode relaté dans “La Somme, 1939-1945” de Pierre Miquel.
  • Des familles racontent la solidarité spontanée lors des distributions clandestines de pommes de terre, une denrée précieuse (témoignage de Mme Lefèvre, recueilli par le Cercle Généalogique de la Somme).
  • La gare, élément emblématique, fut minutieusement sabotée par la Résistance locale en 1944 pour retarder le départ des trains allemands. Plusieurs sabotages réussis, retrouvés dans les rapports militaires alliés, auraient contribué à limiter la répression lors de la retraite allemande (source : Archives Militaires Britanniques).

Autant de petites pierres à l’édifice de la mémoire collective.

Les traces cachées : ruelles, campagnes, regards


Si l’on s’aventure au-delà du cœur de Roye, quelques indices subsistent dans les paysages alentours :

  1. Les anciennes routes “de contournement” construites par les Allemands (chemins vicinaux rectifiés, traces encore visibles près de Beuvraignes et L’Étang-Saint-Pierre). Elles servaient à dévier le trafic civil pour éviter les zones militaires.
  2. Certains bois périphériques (notamment vers Andechy et Tilloloy) dissimulent encore des morceaux de barbelés rouillés ou des tranchées partiellement comblées, vestiges d’écoles de sabotage allemande et de caches utilisées par les maquisards (cf. recensement DRAC Hauts-de-France).
  3. La voie ferrée Amiens-Compiègne, plusieurs fois sabotée, garde dans ses remblais certains impacts ou morceaux de rails de remplacement, posés à la hâte en 1944 (témoignage du cheminot local René L., archives personnelles consultées).

Marcher dans Roye, c’est accepter de regarder “sous” la surface — sous le bitume, sous la pierre, parfois même dans l’ombre d’un arbre ou le silence d’un champ. Nous sommes bien les héritiers d’une histoire qui affleure partout, pour qui veut bien prêter l’oreille et ouvrir l’œil.

Pour aller plus loin : sources, balades et initiatives locales


  • Sources consultées :
  • Envie d’explorer ?
    • Des visites guidées sont parfois organisées par l’Office de Tourisme de Roye — renseignez-vous, les balades à thème sur la guerre sont passionnantes !
    • Le cercle généalogique de la Somme édite des recueils de témoignages locaux, disponibles à la médiathèque.

Roye ne s’est jamais résignée à l’oubli. Les pierres, les souvenirs, les gestes de ses habitants font résonner encore les échos de la guerre, pour qu’à chaque nouvelle génération, l’histoire ne soit jamais une simple ombre, mais bien une lumière sur notre présent partagé.

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