Au fil des rails : voyage à travers l’histoire du quartier de la gare de Roye

4 août 2025

Un matin de brume près des rails : premières impressions


Il suffit d’un matin un peu frais, de cette lumière pâle qui éclaire les rails encore humides, pour ressentir l’âme du quartier de la gare. Ici, chaque bruit – le lointain sifflement d’un train, le crissement d’un vélo sur le bitume, la rumeur du boulevard Gambetta – nous rappellent que Roye doit beaucoup à sa gare. Ce quartier, c’est un peu la porte d’entrée, mais c’est aussi la mémoire vivante des époques qui se sont succédé. Alors, comment le quartier s’est-il transformé, de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui ? Prêt pour un voyage dans le temps, les amis ?

Naissance d’un quartier ferroviaire : la gare, catalyseur du changement


Nous sommes en 1870 : Roye n’est alors qu’un chef-lieu tranquille, connu pour ses foires et son marché, mais encore loin de Paris et très attaché à son terroir. L’arrivée du train, via la ligne Amiens-Compiègne, va bouleverser cet équilibre. Ouverte en 1873, la gare de Roye (source : Wikipédia) devient très vite un carrefour stratégique. Les premiers bâtiments sortent de terre devant l’édifice typique à l’architecture « Nord », avec ses briques rouges, sa marquise et sa grande horloge.

  • Un quartier neuf : Jusqu’alors, il n’y avait que des champs et quelques cabanes de cantonniers. En dix ans, une vraie petite ville se construit autour de la gare : hôtels, cafés, épiceries, ateliers de serrurerie et écuries pour les voyageurs.
  • Premier développement urbain : Le plan d’urbanisme évolue : l’avenue de la Gare (aujourd’hui avenue de la République) dessine une large artère, et les maisons bourgeoises fleurissent. On parle même de construire une nouvelle halle aux grains, qui ne verra jamais vraiment le jour, faute de crédits.
  • Le train et l’usine : Dès la fin du XIXe, l’industrie profite de la voie ferrée. Les brasseries, la fabrique de chicorée, puis les premiers transporteurs locaux installent leurs entrepôts à deux pas des quais.

Un quartier à la croisée des drames et des progrès (1914-1945)


Impossible d’évoquer le quartier de la gare sans parler des Guerres mondiales. La Première Guerre met Roye sur la ligne de front : la gare est précieuse pour les ravitaillements, l’évacuation des blessés, et devient à plusieurs reprises la cible de bombardements (notamment en 1918 lors de la seconde bataille de la Somme, cheminsdememoire.gouv.fr).

  • Destructions : Près de 60% du quartier de la gare est alors détruit, y compris des immeubles récents. L’après-guerre nécessite une reconstruction quasi-totale.
  • L’entre-deux-guerres : La municipalité de Roye s’inspire de l’architecture Art déco. Immeubles de rapport, nouveaux commerces de bouche, bureau de poste moderne : le quartier retrouve vite une activité intense.
  • La Seconde Guerre mondiale : Bis repetita, les années 40 voient Roye à nouveau martyrisée. Certains ateliers des chemins de fer sont sabotés lors des combats de la Libération en août 1944. Quelques bâtiments datent encore de cette époque en reconstruction rapide : on reconnaît leur béton nu et leurs lignes fonctionnelles.

Les belles heures de la gare : commerces, cinéma, vie sociale (1950-1970)


Après 1945, Roye connaît un « boom » commercial et démographique. Dans les années 50-60, la gare, ses abords et la grande avenue sont un véritable centre vital. On y recense plus de quinze commerces sur moins d’un kilomètre.

  • Les figures locales : Le Café de la Gare, au coin de la place, voit défiler tout Roye. Un marchand de journaux anime le kiosque, pendant qu’un photographe immortalise les « premiers voyages » des enfants… et les retours attendus à Noël pour les familles de travailleurs montés à Paris.
  • Petite industrie : Plusieurs ateliers de carrosserie, une imprimerie artisanale, une agence bancaire : l’effervescence est là. On vient aussi voir les derniers films au cinéma près du dépôt, qui ferme ses portes dans les années 70.
  • La SNCF au cœur de la vie locale : À cette époque, la gare emploie plus de 25 personnes. Les chiffres de fréquentation dépassent les 500 personnes/jour au pic des années 60 (source : SNCF).

Changements majeurs : la périurbanisation et le déclin ferroviaire (1970-2000)


Tout change à partir des années 70. Roye, comme de nombreuses villes moyennes, subit les conséquences de la périurbanisation, du triomphe de la voiture et du rôle nouveau des gares de banlieues.

  • Désaffectation : La fermeture progressive des lignes secondaires (projet Roisel abandonné en 1973, desserte Picardie réduite dans les années 80) provoque une baisse de trafic dramatique : moins de 50 voyageurs quotidiens en 1997 selon le rapport SNCF de l’époque.
  • Des commerces qui ferment : Petit à petit, les magasins baissent rideau. Le boucher part à la retraite sans repreneur, un garage auto devient entrepôt vide, l’ancien hôtel du Nord est démoli pour faire place à un parking.
  • Dégradation urbaine : Certains immeubles des années 30 tombent en désuétude ou sont laissés à l’abandon. La gare elle-même manque de travaux d’entretien : toiture percée, marquise abîmée.

Le viaduc, marqueur des changements

Difficile de ne pas évoquer le célèbre viaduc ferroviaire, inauguré en 1937 après de longues tergiversations administratives. Son architecture audacieuse en béton armé, sa courbure élégante… Il est à la fois symbole du modernisme et du déclin, puisqu’il n’est plus que partiellement utilisé depuis la fermeture de certains tronçons de voie. À voir absolument lors d’une promenade vespérale pour comprendre la mutation du quartier.

Renaissance et nouveaux usages : le quartier à l’aube du XXIe siècle


Depuis 2000, des signaux d’espoir reviennent dans le quartier de la gare. L’ère des « gares passives » laisse place à une envie de revivifier les abords, d’attirer des habitants et de nouveaux projets.

  • Chantier patrimoine : En 2002, la façade de la gare retrouve ses briques rouges d’origine après une restauration exemplaire (communiqué mairie de Roye, archives municipales). La place est repensée pour faciliter bus et piétons, sans dénaturer l’ambiance ferroviaire.
  • Nouveaux habitants et nouvelles activités : De jeunes couples, mais aussi des artisans, investissent des maisons autrefois délaissées. Une association propose régulièrement des ateliers de réparation vélo et des moments de convivialité autour du thème du « voyage près de chez soi ».
  • Mobilité douce et nouveaux usages : Un parking à vélo moderne, l’arrivée du covoiturage, la réouverture d’une micro-école dans les anciens locaux EDF : on réinvente peu à peu la vie du quartier.

Les défis actuels et les perspectives pour demain


Malgré les belles avancées, la reconquête du quartier n’est pas achevée. Quelques logements vacants subsistent, et certains locaux commerciaux restent à inventer. Pourtant, l’engouement pour l’habitat en cœur de ville, la redécouverte du train comme alternative verte, et la dynamique associative changent la donne.

  • Fréquentation en hausse : Depuis 2016, la SNCF observe une reprise de la fréquentation de la gare (+28% entre 2016 et 2022 selon les chiffres du Conseil régional des Hauts-de-France). Un regain lié aux nouveaux horaires TER et à la mode du “retour au local”.
  • Projets à venir : La ville planche sur une Maison du patrimoine ferroviaire, en lien avec les habitants, et sur la végétalisation des abords du viaduc. Un tiers-lieu social pourrait bientôt occuper un bâtiment vacant.
  • Ambiance de village dans la ville : Aujourd’hui, on croise encore chaque matin les “anciens” qui parlent du temps où l’on « montait à Paris en deux heures », tout en voyant arriver de jeunes familles à trottinette et de nouveaux commerçants : primeur bio, boulanger créatif… Le quartier garde sa spécificité d’accueil et de brassage.

L’écho du temps : petites histoires et traces durables


Quelques anecdotes, pour finir sur le parfum du quartier – ce « je-ne-sais-quoi » qui fait son sel :

  • La gare de Roye a servi, dans les années 1920, de décor à un film muet aujourd’hui disparu qui mettait en scène un voyageur égaré (source : Bulletin municipal 1927).
  • On retrouve sur certains murs des enseignes peintes à la main, vestiges des commerces des années 50. Regardez bien, au niveau du 23 avenue de la République, on devine encore le mot « cycles » sous la peinture écaillée.
  • Chaque printemps, des bénévoles organisent une visite guidée “Secrets de la Gare”, permettant d’entrer dans l’ancienne lampisterie, un lieu habituellement fermé au public.

Finalement, le quartier de la gare, ce n’est pas qu’une page tournée, mais bien une histoire vivante qui s’écrit et se réinvente à chaque passage de train. Peut-être y croiserons-nous un matin, entre deux rails, le frisson d’un nouveau départ ?

Sources et remerciements


  • Archives municipales de Roye
  • Wikipédia : Gare de Roye
  • Chemins de mémoire (cheminsdememoire.gouv.fr)
  • SNCF, chiffres de fréquentation
  • Bulletin municipal de Roye 1927 (archives bibliothèques départementales)

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