Roye, une sentinelle au cœur de la Picardie
Parfois, lorsqu’on flâne sur la Place d’Armes de Roye au petit matin, on croise plus de silence que de passants. Mais il y a une énergie sous-jacente : celle d’une ville qui, depuis plus de mille ans...
8 juin 2025
Imaginez Roye, par une matinée d’octobre, l’an 1567. Des silhouettes inquiètes glissent le long des murailles. On distingue, au-delà de la ligne des fossés, des soldats en armes. L’air sent la peur, mais aussi la poudre. Dans les campagnes, les récoltes ne sont même pas terminées. La ville, aux avant-postes de la Picardie, va devoir choisir son camp : résister, négocier, subir, survivre. C’est comme ça que les guerres de religion sont arrivées chez nous, parfois brutalement, souvent par surprise, toujours dans la confusion.
Encore aujourd’hui, on sous-estime combien notre région a été un terrain de manœuvre crucial durant les guerres de religion (1562-1598), cette longue fracture entre catholiques et protestants qui a déchiré la France au XVI siècle. Roye, au croisement de routes marchandes et militaires, n’était ni Paris ni Amiens, mais un point clef pour contrôler la Picardie intérieure et pour tenir la route d’Arras à Compiègne.
On comprend alors pourquoi Roye sera régulièrement sollicitée, assiégée, marchandée, prise et reprise. Ce n’est pas un simple témoin des guerres de religion : c’est aussi un acteur, malgré elle, de la bataille pour le Nord.
Paradoxal, mais vrai : Roye, dès le début du XVI siècle, affiche une ouverture culturelle et religieuse qu’on voit rarement ailleurs en Picardie. Les archives municipales (conservées à Amiens) rapportent que la ville compte alors plusieurs notables influencés par la Réforme, tout en restant officiellement catholique.
Ce jeu d’équilibre ne va pas durer : en 1562, la première guerre de religion vient rompre la neutralité. À peine deux ans plus tard, Roye est mentionnée comme cible potentielle d’escarmouches protestantes (Source : Bulletin de la Société d’histoire de Compiègne, 1878).
Peu de sources évoquent le siège de Roye en 1567, tombé dans la discrétion, éclipsé par les drames d’Orléans ou de Paris. Pourtant, il illustre le climat de la région :
Un succès ? En tout cas, la nouvelle parvient à Paris : Charles IX, roi de France, adresse ses félicitations officielles au conseil municipal de Roye. On est alors loin de l’image d’une ville de garnison surarmée… C’est la solidarité, la peur partagée et la réactivité qui sauvent la cité.
C’est pendant la Ligue (1585-1594), la période la plus troublée, que Roye vit ses heures les plus tendues. Dans la plaine santerroise, la peur de la contagion protestante venue du Sud est dans tous les esprits. Les villes alliées de la Ligue — Noyon, Péronne, Amiens — communiquent régulièrement avec Roye, qui sert alors de relais d’avertissements et d’abris pour les réfugiés.
C’est dans cette ambiance que Roye trace sa voie : pas une place de massacres célèbres, mais une ville tendue, résiliente, qui tient bon malgré la menace.
Il serait faux de croire que seules les murailles de Roye ont souffert. Les conséquences sur la vie quotidienne seront énormes :
On troque alors les récits glorieux pour une réalité plus prosaïque : la reconstruction, lente, laborieuse, de maisons et de vies détruites. Certaines familles royennes porteront le souvenir de ces années de disette et de peur pendant plus de deux générations.
La question revient souvent : où voir, aujourd'hui, les traces de cette période dans Roye ? Le temps a effacé beaucoup d’indices, mais certains vestiges sont encore visibles ou documentés :
À chaque Fête Historique, on remarque, d’ailleurs, que les costumes du XVI siècle rappellent aussi ces heures agitées, comme si la ville voulait à chaque génération rouvrir la page... pour mieux la tourner.
Roye n’a pas la brutalité de Nîmes ni la notoriété de La Rochelle, mais elle tient son rang dans la mémoire picarde. Elle a joué le rôle de verrou, de témoin, parfois de refuge ou de relais. Ce sont les habitants anonymes, souvent oubliés des annales, qui ont décidé de la destinée de la cité. Si les grandes batailles se livraient loin, la somme de ces résistances locales a contribué à façonner l’équilibre entre Nord catholique et Sud protestant en France.
Il y a dans chaque pierre, chaque nom de rue, chaque tradition, l’écho feutré de ces choix impossibles, de ces solidarités d’urgence ou de ces peurs partagées. Autant de raisons d’arpenter Roye autrement, pour y lire entre les lignes de l’Histoire les petits courages du quotidien.
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