Aux origines de Roye, entre cheminées d’usines et savoir-faire ouvrier

20 juin 2025

L’essor industriel de Roye : la petite révolution du XIXe siècle


Au début du XIX siècle, Roye est encore largement rurale, célèbre pour la fertilité de ses terres et ses marchés animés. Pourtant, dès les années 1830, la révolution industrielle s’invite dans la Somme. Roye, alors située sur l’axe Amiens-Compiègne, se trouve à la croisée des chemins et ne tarde pas à devenir une terre d’accueil pour l’industrie naissante.

  • L’industrie textile : C’est le fil conducteur du développement industriel royen. La ville profite d’une longue tradition de tissage familial. Selon l’Inventaire général du patrimoine culturel, la première manufacture textile moderne y apparaît au milieu du XIXe siècle (Inventaire Hauts-de-France).
  • Briqueteries et tuileries : Roye se développe aussi grâce à ses gisements d’argile. Dès 1850, plusieurs briqueteries (certaines tenues par des familles d’origine belge ou flamande) voient le jour en périphérie. Un chiffre à retenir : en 1900, on compte au moins quatre briqueteries actives autour de la ville (Encyclopédie Picardie).
  • L’industrie agroalimentaire : Les sucreries, plus discrètes mais importantes, transforment les betteraves locales en or blanc, avec, à son apogée, plusieurs centaines d’emplois saisonniers créés chaque automne.

La transformation du paysage urbain et social


Chaque famille royeuse a, dans son histoire, un grand-père ou un oncle ayant fréquenté les ateliers textiles ou les fours d’une tuilerie… L’industrie a changé la fisionomie de la ville, mais aussi sa société.

D’une ville rurale à une cité ouvrière

  • L’arrivée du train (1867) : L’inauguration de la gare de Roye sur la ligne Amiens-Compiègne bouleverse les habitudes. On expédie les tissus, on reçoit matières premières et ouvriers. Le réseau ferroviaire stimule aussi la création d’ateliers de mécanique et de petites fonderies (source : SNCF Réseau patrimoine).
  • Urbanisation : Les faubourgs s’étendent à l’est et au sud, de petits quartiers ouvriers apparaissent autour des usines et de la zone de la gare. On construit maisons mitoyennes en brique rouge, files d’habitations avec potager, parfois directement adossées à l’atelier familial.
  • Nouvelles structures sociales : Le modèle de la grande famille paysanne glisse doucement vers la famille ouvrière. Les enfants quittent plus tôt l’école pour travailler dans les usines textiles et épouser le « rythme de la sirène ».

Le boom de la briqueterie : Roye, petite capitale de la brique

Si l’on arpente la route de Montdidier ou le quartier du faubourg Saint-Gilles, impossible de ne pas noter la couleur rouge omniprésente. Roye a longtemps été une « ville de briqueteries » : autour de 1900-1930, les établissements Martin, Lemoine, et Delecroix sortent des millions de briques chaque année, expédiées jusqu’à Paris pour la reconstruction d’après-guerre (source : Archives municipales de Roye). À la veille de la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à 400 ouvriers travaillaient dans le secteur de la brique et de la tuile.

L’industrie face à l’histoire : guerres, crises et renaissances


La Première Guerre mondiale : une ville meurtrie, des usines à reconstruire

On ne peut pas parler de Roye sans évoquer 1914-1918 : la ville est quasi rasée lors des bombardements allemands. Le tissu industriel subit autant que le patrimoine civil. Sur 65 usines et ateliers recensés avant-guerre, plus de 80% sont détruits ou hors d’usage fin 1918 (source : Rapport du ministère de la Reconstruction, 1920). Mais Roye se relève : dès les années 1920, avec les aides publiques, les usines textiles et les briqueteries reprennent du service.

  • Reconstruction de la ville et des industries : La période 1920-1930 voit l’apparition de nouveaux bâtiments industriels au style « art déco », typiques des architectures de l’entre-deux-guerres.
  • Arrivée de nouveaux entrepreneurs : Des Alsaciens, des Belges investissent la cité, injectant de nouvelles techniques, notamment dans le textile et la boulonnerie.

De la prospérité d’après-guerre au déclin des années 1970

Les Trente Glorieuses voient les effectifs ouvriers au plus haut, notamment dans les usines textiles, la fabrication de pièces mécaniques, la sucrerie et la production de briques. En 1962, Roye compte plus de 1 000 emplois industriels (INSEE).

Mais l’histoire industrielle n’est jamais linéaire. Dès la fin des années 1970, la concurrence internationale, la modernisation et la crise de l’industrie textile française entraînent la fermeture progressive de la plupart des usines royeuses. Le nombre d’emplois industriels chute de 40% en 20 ans (source : INSEE, étude 1985-2005).

Patrimoine industriel : témoins silencieux, héritages vivants


Aujourd’hui, Roye ne résonne plus vraiment du bruit des machines à filer ou des chaudières de briqueterie. Mais en se promenant dans la ville, on devine encore les traces laissées par ce passé industriel :

  • Anciennes cheminées d’usine que l’on aperçoit parfois derrière des haies trop hautes ou dans une cour transformée en dépôt ;
  • Maisons ouvrières alignées rue Neuve ou autour de la rue Pasteur ;
  • Bâtiments de brique à usage détourné (atelier qui abrite un garage, une salle de danse ou une microbrasserie artisanale).

Depuis la fin des années 2010, une nouvelle attention se porte sur cette mémoire ouvrière : des associations comme Histoire 64 collectent témoignages et photos d’époque, les Amis du Vieux Roye organisent des visites et balades thématiques autour de « Roye la travailleuse ». La municipalité a même lancé un recensement en 2021 pour protéger des éléments du patrimoine industriel menacés de disparition.

Ouvrir l’œil, ouvrir le dialogue : l’héritage industriel, moteur de nouveaux projets ?


L’industrie n’a pas seulement structuré le décor urbain. Elle a forgé des solidarités, un mode de vie, une culture du collectif et du travail bien fait qui, aujourd’hui encore, se transmet d’une génération à l’autre.

  • Les écoles portent parfois le nom d’ingénieurs ou d’entrepreneurs ;
  • Des anciens bâtiments industriels accueillent aujourd’hui associations, artistes, start-ups locales ;
  • L’idée d’une « mémoire ouvrière » plus valorisée fait son chemin dans les projets de la ville.

La grande histoire industrielle de Roye s’estompe, mais elle laisse une empreinte durable dans les rues, les pierres et les gens. Peut-être est-ce là, finalement, la plus belle leçon de notre territoire : la capacité à se réinventer, à tisser (encore !) du lien, à faire du passé une source d’inspiration et d'envies nouvelles.

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