Au fil des mémoires : Roye, identité et lieux d’histoire vivants

20 septembre 2025

Un matin d’octobre, sur la place d’Armes : premières lueurs, grandes histoires


Froid piquant, écharpe vissée au cou, les pavés de la place d’Armes bricolent quelques reflets dorés sous les rayons du soleil d’automne. En passant devant le monument aux morts, on sent tout de suite que Roye n’est jamais tout à fait seule : l’Histoire nous tient la main. Il suffit d’un regard sur les inscriptions, d’un détail qui accroche, pour se rappeler que notre identité d’aujourd’hui s’est construite sur ces traces-là. Mais ces lieux, souvent silencieux, ont-ils encore une voix dans la vie de la cité ? C’est ce qu’on va explorer ensemble.

Des cicatrices de pierre : Roye, histoire meurtrie mais racontée


Impossible de parcourir Roye sans être happé par son histoire tragique — et tenace. La ville a traversé toutes les tempêtes : la guerre de Cent Ans, la Révolution, deux guerres mondiales, et des destructions qui l’ont métamorphosée. Rien qu’en 1918, 99% des bâtiments sont détruits (Conseil départemental de la Somme). Véritable ville-phénix, Roye garde la mémoire de ses blessures à travers deux lieux majeurs :

  • Le monument aux morts de la Grande Guerre, inauguré en 1930, trône en plein cœur de ville. On n’y prête parfois plus attention, mais c’est l’un des monuments pacifistes les plus saisissants de Picardie — à la fois par l’émotion de ses bas-reliefs, et parce qu’il porte les 233 noms des Royens tombés en 14-18.
  • L’Église Saint-Pierre-et-Saint-Paul. Détruite à 90% durant la Première Guerre mondiale, puis reconstruite à l’identique. Un marqueur fort : à Roye, ce ne sont pas que les pierres qu’on relève, mais tout un esprit collectif. L’église accueille d’ailleurs chaque 15 août une cérémonie très suivie, sorte de rituel de résilience locale.

Les petites plaques commémoratives, parfois discrètes au détour d’une rue (place du Général Leclerc pour la Libération en 1944, ancienne prison évoquant les résistants Royens) ne sont pas là par hasard. Elles racontent à elles seules une histoire partagée : celles et ceux d’ici se sont toujours relevés.

Les lieux de mémoire, des repères pour les habitants


Nés de l’évènement, les sites et monuments deviennent des repères quotidiens. Voici comment ces points d’ancrage renforcent le sentiment d’identité à Roye aujourd’hui :

  • Un espace de transmission : Par les cérémonies scolaires, les visites guidées (comme celles du circuit 14-18, proposées par l’office de tourisme Pays du Coquelicot), ou les récits familiaux, le monument aux morts continue de faire « le lien avec les anciens ».
  • Un lieu de rassemblement : Tous les 8 mai, 11 novembre, 14 juillet, des dizaines de Royens se réunissent place d’Armes. C’est souvent l’unique moment de l’année où toutes les générations se côtoient — et le respect qui s’en dégage a valeur d’exemple pour les plus jeunes.
  • Une boussole identitaire : Même lors de désaccords (sur la politique, l’urbanisme, l’école…), il existe comme un socle invisible : la fierté d’avoir « tenu bon », d’appartenir à une commune qui n’a jamais oublié ses disparus ni ses défis passés.

Selon une enquête réalisée en 2022 par le recensement de la population INSEE, près de 50 % des Royens vivant aujourd’hui sont nés dans le canton. Les lieux de mémoire jouent certainement un rôle dans cette ancrage local fort : ils symbolisent l’idée de la transmission, du chez-soi véritable.

Mémoire en partage : la place des commémorations aujourd’hui


On pourrait croire que les cérémonies patriotiques ne parlent plus qu’aux anciens. Pourtant, la fréquentation reste stable, entre 150 et 250 personnes lors du 8 mai ou du 11 novembre à Roye, et de plus en plus d’enfants s’y impliquent. Avec la disparition du dernier « poilu » local dans les années 2000 (source : Mairie de Roye, Archives municipales), la transmission des récits est passée aux enseignants et aux familles.

Des initiatives originales apparaissent aussi :

  • Marche du souvenir : chaque année depuis 2016, une cinquantaine de jeunes empruntent le circuit des anciens bunkers entre Roye et Cressy-Omencourt. L’objectif ? Approcher l’Histoire par l’expérience physique : on marche, on raconte, on s’arrête là où, jadis, on s’est battu, on a souffert, ou survécu. C’est souvent l’occasion d’échanges francs sur la paix ou la fraternité.
  • Projets scolaires « Roye 1918 » :  en 2018, pour le centenaire, une micro-exposition organisée par le collège Louise Michel a rassemblé des objets découverts dans les greniers royens — lettres, uniformes, photographies… Comme quoi la mémoire habite parfois nos tiroirs.
  • Jardin de la mémoire : inauguré en 2020, il s’agit d’un petit espace floral en centre-ville, dédié aux victimes civiles, en particulier aux femmes et enfants. On y croise des bancs, des plaques, des témoignages à lire. C’est un des seuls lieux de Picardie explicitement dédiés aux civils, preuve d’une volonté locale de sortir des commémorations traditionnelles.

Pour les familles comme pour les écoles, ces temps de mémoire participent à un sentiment de « faire ensemble », bien au-delà du protocole.

Lieux d’histoire, lieux de vie : la mémoire sort du marbre


Ce qui frappe, à Roye, c’est que la mémoire ne s’est jamais figée. Les lieux historiques sont aussi, bien souvent, les décors de la vie d’aujourd’hui :

  • L’esplanade du monument aux morts accueille le marché du vendredi matin. On y croise autant les anciens que les familles nouvelles arrivantes.
  • La place d’Armes, théâtre du 14-Juillet, abrite aussi concerts, fêtes médiévales, animations pour enfants. Preuve que la mémoire, ici, n’a rien de triste : elle pulse au rythme du quotidien.
  • Lors du festival « Des Rives & Des Notes », les associations locales n’hésitent pas à proposer des lectures de lettres de poilus ou d’anciens prisonniers royens, devant les monuments.

Certaines initiatives flirtent même avec l’art contemporain : une fresque murale (créée en 2021 rue de Paris par le collectif local « Roye en couleurs ») rend hommage aux bâtisseurs et aux femmes ayant œuvré à la reconstruction après 1918. De quoi attirer des visiteurs curieux, mais aussi permettre de raconter la ville autrement aux plus jeunes.

Le rôle des lieux de mémoire dans l’attraction touristique et la valorisation du territoire


Si Roye mise aujourd’hui sur quelques grands axes de développement – nouvelles entreprises, accueil de familles, circuit 14-18 – l’attractivité passe largement par son histoire.

  • Le tourisme de mémoire : En 2019, la ville a accueilli environ 4600 visiteurs sur le circuit 14-18, selon l’office du tourisme (Pays du Coquelicot). Près de 40% d’entre eux n’étaient jamais venus dans le secteur, l’offre mémorielle ayant un fort effet de curiosité.
  • Grandes étapes régionales : Les sites de Roye sont inscrits au réseau « Cemeteries of the Great War », permettant d’inscrire la ville sur les grandes randonnées mémorielles entre Péronne, Amiens et Compiègne (source : Visit Somme). Cela favorise aussi le tourisme d’un week-end et profite aux commerces locaux.
  • Valorisation du patrimoine bâti : Les campagnes de restauration (dernière tranche en 2022 pour l’église Saint-Pierre) visent autant à entretenir la mémoire, qu’à offrir aux habitants des espaces valorisés. Cela se traduit par l’ouverture de certains lieux durant les Journées du Patrimoine, associant ainsi mémoire, éducation et animation.

Le patrimoine mémoriel est donc aussi une chance économique : des visites guidées aux expositions temporaires, les lieux de mémoire servent à relier Roye au reste du territoire, à renforcer les liens locaux et à attirer de nouvelles familles.

Quelques anecdotes et petites énigmes du patrimoine mémoriel de Roye


  • Une pierre insolite : Près de l’école maternelle, une stèle anonyme rend hommage à un soldat inconnu retrouvé en 1917 – son identité reste inconnue, mais chaque année, une rose blanche y est déposée par une main discrète.
  • Des caves témoins : Certains habitats conservent encore des caves voûtées servant d’abris pendant les bombardements (notamment rue Saint-Médard). Dans une douzaine de maisons, les familles ont choisi de ne pas rénover ces recoins pour garder la mémoire vive.
  • Des archives vivantes : Une habitante, centenaire en 2021, se plait à raconter la reconstruction de la ville, quand « on vivait dans des baraquements et qu’on échangeait tout, y compris les souvenirs, autour d’un bol de chicorée », une mémoire orale qui trouve encore audience lors des rencontres du Foyer rural.

Ces petites histoires sont souvent celles qui marquent le plus — et elles rappellent que la mémoire locale se transmet autant par les monuments que par les gestes simples et les traditions du quotidien.

Perspective : Les lieux de mémoire, héritage vivant pour demain


Franchir Roye, c’est traverser mille récits en filigrane : ici un nom gravé sur le marbre, là un banc fleuri dédié à une génération disparue. Les lieux de mémoire ne sont pas seulement des rappels du passé ; ils servent, tous les jours, d’étendard tranquille à une identité collective qui se renouvelle. Que l’on soit enfant du pays, nouvel arrivant ou simple visiteur, l’expérience de ces lieux touche — discrètement mais sûrement. Et c’est sans doute cela, la force profonde de Roye : savoir faire vivre la mémoire, sans jamais la laisser s’enliser dans la nostalgie. Une invitation à découvrir, à transmettre, à s’approprier l’histoire, loin des manuels, tout près du cœur.

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