Les noms gravés sur les plaques de Roye : miroir de notre histoire locale

14 septembre 2025

Premiers pas devant une plaque : plus qu’un bout de bronze


Il n’y a pas que les grandes statues et les monuments du centre-ville qui sont porteurs de mémoire. À Roye, au fil des rues, on croise près de 25 plaques commémoratives officielles recensées par la mairie (source), sans compter celles plus discrètes, posées par des particuliers ou des associations, qui jalonnent écoles, cours d’immeubles et ateliers d’anciens commerçants.

  • Plaques militaires : la plupart rendent hommage aux « enfants de Roye morts pour la France » en 14-18, puis 39-45.
  • Plaques civiles et de Résistance : beaucoup rappellent l’engagement de résistants pendant la Seconde Guerre mondiale.
  • Plaques d’événements : certaines commémorent des épisodes précis, comme la libération de 1918 ou de 1944.

D’emblée, la densité de ces plaques en dit long sur la place de Roye dans les conflits mondiaux : ville occupée, ville meurtrie, mais aussi ville de passage et de résistance. La mémoire n’occupe pas seulement nos monuments : elle s’inscrit au ras des murs, à hauteur d’homme.

Des noms gravés : portraits, familles, communautés


Mais qui retrouve-t-on, sous ces lettres dorées ou gravées à la pointe ? Pas de Napoléon ou de Victor Hugo chez nous, mais un cortège de citoyens, simples et courageux, devenus héros malgré eux. Regardons de plus près quelques noms que le bronze a sauvés de l’oubli :

  • Léon Marchand – Plaque Place du Général de Gaulle : Ce policier municipal de Roye, abattu pendant un échange de tirs à la Libération en août 1944, est devenu le symbole local du sacrifice pour la liberté.
  • Les frères Prévot – Rue André Prévot : Résistants nés à Lignières-lès-Roye, Jean et André Prévot ont été fusillés en 1944 pour leurs activités de renseignement au sein du réseau OCM (Organisation Civile et Militaire). Leur nom est mentionné sur plusieurs stèles dans le canton.
  • Fernande Levasseur – Ancien Hôtel-Dieu : Infirmière née en 1888 à Roye, elle a soigné sous les bombardements et permis l’évacuation de dizaines de blessés en 1916. Une plaque discrète honore sa mémoire dans l’ancien hospice, désormais ré-affecté en médiathèque.
  • Liste des 125 « Morts pour la France » de 14-18, affichée sur la façade de la mairie et dans la nef de l’église Saint-Pierre (source : Mémoire des Hommes).
  • Léon et Marguerite Dujardin – rue Carnot : Couple juif raflé lors de l’été 1942, déporté à Auschwitz, signalé depuis 2019 par une plaque déposée par l’association AJPN (source).

Un détail marquant : la proportion importante de plaques évoquant les résistants et les civils « ordinaires » disparus, là où beaucoup de villes commémorent surtout officiers et notabilités. C’est toute une communauté qui s’inscrit dans la mémoire collective, pas uniquement ses chefs.

Pourquoi ces plaques ? Une mémoire officielle… mais pas figée


La pose d’une plaque commémorative n’a rien d’automatique. À Roye, plusieurs circuits se superposent :

  • Majoritairement publiques : proposées par la municipalité, les associations d’anciens combattants, ou les familles endeuillées.
  • Associatives, citoyennes : avec l’émergence récente de collectifs de mémoire (AJPN, Souvenir Français, etc.), on voit apparaître de nouvelles plaques, parfois sur des maisons privées, parfois sur l’espace public.
  • Une mémoire évolutive : la mairie précise qu’entre 2000 et 2023, cinq plaques supplémentaires ont été ajoutées à Roye pour intégrer des oubliés de la Shoah et des fusillés de 1944, après enquête des historiens locaux.

Souvent, la demande part des descendants ou de passionnés d’histoire comme ceux du « Groupe de recherches historiques du Grand Roye », qui croisent archives municipales, journaux anciens (Le Courrier Picard notamment) et témoignages oraux recueillis lors des journées du patrimoine.

Quelques chiffres pour donner la mesure

  • Sur les 125 noms de Poilus morts pour la France en 14-18, 57 sont nés ou vivaient dans le bourg de Roye même, et près de 30 dans les hameaux alentours (Source: Mémorial Geneanet).
  • Environ 32 plaques évoquent des résistants ou victimes indirectes du second conflit mondial dans le canton, dont 12 strictement à Roye centre.
  • Depuis 1945, plus de 300 personnes ont été honorées par une mention sur une plaque dans le secteur de Roye (estimation basée sur les recensements patrimoniaux du Pays du Grand Roye, 2022).

Petites histoires derrière les grandes dates


Derrière les noms gravés, il y a parfois des anecdotes qui méritent un détour. Voici quelques épisodes qui nous rappellent que l’histoire s’écrit souvent au coin de la rue.

  • La plaque « volée » de la poste : Certains lecteurs se souviennent peut-être de cette étrange affaire : la plaque dédiée à Paul Leroux, postier résistant exécuté en 1944, a été dérobée en 1995 lors de travaux dans le bureau de poste. Il aura fallu presque dix ans pour qu’une nouvelle plaque soit installée, financée cette fois-ci par une collecte populaire ! (source : bulletin municipal de Roye, 2005)
  • Des plaques qui voyagent : Après la rénovation de l’école Marcel-Petiau en 2011, la plaque dédiée à son ancien directeur, tué lors de la libération de Roye, a été déplacée et fixée dans le hall d’entrée, à hauteur d’enfant. Le geste avait fait débat – mais pour beaucoup, il s’agissait au contraire d’un moyen d’inviter les élèves à questionner ce passé.
  • Les plaques disparues de la reconstruction : Dans les années 1920, près d’une dizaine de plaques, posées en hommage aux familles de sinistrés des bombardements, ont disparu lors de la reconstruction intensive du centre. Plusieurs démarches sont en cours pour retrouver leurs traces d’origine dans les registres d’actes civils.

En se promenant : parcours conseillés pour lire (et relire) les plaques


Pour vraiment plonger dans la mémoire locale, rien ne vaut une petite marche semée d’arrêts curieux. Trois balades à thèmes sont à conseiller pour qui souhaiterait partir « à la chasse aux noms gravés » :

  1. Tour du centre historique :
    • Départ : Place du Général de Gaulle (plaque Léon Marchand)
    • Rue André Prévot (stèle des frères résistants)
    • Mairie (paroi commémorative 14-18)
    • Arrivée : Église Saint-Pierre (plaque à la mémoire des enfants de Roye)
  2. Balade « mémoire 1939-1945 » :
    • Départ : ancienne gare (plaque cheminots déportés)
    • Poste centrale (Paul Leroux)
    • Ancienne école Marcel-Petiau
    • Ancien Hôtel-Dieu (Fernande Levasseur)
  3. Chemin de la Shoah :
    • Rue Carnot (Léon et Marguerite Dujardin)
    • Maison privée rue du Maréchal Leclerc (plaque AJPN)

Le plus beau, c’est que ces balades ne nécessitent ni grande préparation, ni connaissances d’expert. Il suffit d’être un peu attentif au sol et aux murs, de lire quelques lignes, et de laisser son imagination faire le reste. Parfois, on a la chance de croiser un habitant qui ajoute ses souvenirs personnels à l’histoire officielle.

Ces plaques nous parlent : comprendre, transmettre… et aussi questionner


Les noms gravés sur les plaques commémoratives de Roye ne sont pas que des listes figées. Ils posent des questions toutes simples et essentielles : qu’aurions-nous fait à leur place ? Comment transmettre ces récits aux générations qui grandissent loin du bruit de la guerre ? Que faire des mémoires oubliées, ou des histoires qui n’ont jamais été gravées et restent seulement dans le cœur des familles ?

La ville de Roye continue d’ajouter – parfois de déplacer – ses plaques, de mettre à jour ses listes, de travailler avec les associations de mémoire pour que nul ne soit oublié. C’est dans ce geste, dans cette attention portée à chaque nom, que réside la force discrète de notre histoire locale. Venir lire ces plaques, c’est se rappeler – et faire se souvenir. Chacun à son niveau, on devient un peu gardien de ce fil vivant entre les générations.

À toutes celles et tous ceux qui ont leur nom gravé dans la pierre de Roye, merci pour ce legs. Le prochain jour de marché ou de balade, on prendra peut-être le temps, ensemble, de lever les yeux – juste un instant – pour saluer cette mémoire partagée.

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