Ils ont fait Roye sous l’Ancien Régime : figures, intrigues et récits oubliés

18 juillet 2025

Entre frontière et convoitise : pourquoi Roye intéressait-elle tant l’Ancien Régime ?


Avant de plonger dans les portraits, petit retour sur le contexte. Roye, dans la Somme, est à la frontière du Vermandois, du Santerre et du Ponthieu. Dès le Moyen Âge, sa position stratégique attire les convoitises. Porte d’entrée nord-sud, la ville est fortifiée dès le XI siècle, et ses remparts titillent l’intérêt de rois, de convois d’armées comme des provinces en guerre.

  • Ville étape entre Paris et la Flandre : Roye se trouve sur le chemin des grandes armées royales comme des marchands ou voyageurs – une position clé pour contrôler les axes économiques et militaires (Source : Archéologie et patrimoine en Picardie).
  • Frontière mouvante : entre royaume de France, duché de Bourgogne et même possessions anglaises au gré des traités, la ville change de mains plusieurs fois. Qui dit frontières, dit personnages de pouvoir : capitaines, gouverneurs, espions, négociateurs.
  • Ville de foires : la célèbre foire de la Saint-Maurice attire notables, marchands et faiseurs de fortune, dont certains laissèrent leur nom dans les archives.

On comprend alors pourquoi tant de personnages, parfois inattendus, se sont frottés à Roye ou l’ont marqué de leur passage.

Capitaines & Gouverneurs : les maîtres de la place


Impossible d’aborder Roye sous l’Ancien Régime sans évoquer ses capitaines et gouverneurs : ces figures locales à l’influence souvent décisive, nommées par le roi ou issues de la noblesse régionale. Leur rôle ? Défendre la ville, organiser la garnison, négocier en cas de siège. Ceux-ci « faisaient la pluie et le beau temps », parfois au sens littéral lors des longues années de guerre si fréquentes en Picardie.

  • Guillaume de Saulx (XVI siècle) : figure marquante de la Ligue catholique, il fut nommé gouverneur de Roye par le duc de Guise, dans un contexte où la ville oscillait entre influence catholique et protestante. Il organisa la résistance aux troupes royales de Henri IV en 1590. (Source : Dictionnaire de la Noblesse, La Chesnaye-Desbois).
  • Jean de Hangest (XVI siècle) : Seigneur et capitaine de Roye, apparenté à la grande famille des Hangest, longtemps maîtres du Santerre et alliés du pouvoir royal.
  • Antoine d’Estrées : Gouverneur de Roye et père de la célèbre Gabrielle d’Estrées, favorite d’Henri IV. Il s’illustra par la défense énergique de la ville contre les troupes espagnoles dans les années 1590.

L’anecdote : Roye, « garnison la mieux fournie du Santerre »

En 1584, alors que la région est le terrain des Guerres de Religion, le chroniqueur Jean de La Fons écrit que « Roye est mieux tenue que Péronne et Saint-Quentin tout ensemble, par la valeur de son capitaine » (Archives départementales de la Somme, série B).

Ducs, princes, reines : les grands noms de l’Ancien Régime et leur influence à Roye


Si Roye avait surtout ses notables locaux, elle a été le théâtre d’au moins trois épisodes liés à la haute noblesse et aux chefs d’État, tout droit venus du sommet de l’Ancien Régime.

  • Louis XI y fait halte en 1477 : à la poursuite des Bourguignons après la mort de Charles le Téméraire, il s’arrête à Roye, qu’il trouve fidèle à la couronne, et en profite pour renforcer les défenses en remerciement (Source : A. Sire, Histoire de Roye, 1910).
  • Anne d’Autriche, régente de France (1649) : dans la Fronde, Roye devient enjeu de siège entre les fidèles au roi Louis XIV et les troupes rebelles. La reine-régente y lance un appel à la loyauté et envoie des vivres à la garnison.
  • Gabrielle d’Estrées : la grande favorite d’Henri IV passe par Roye en 1599, en route vers Amiens. On raconte que son carrosse y fut acclamé par la population – petite vengeance locale contre le parti catholique hostile à Henri IV.

Certains membres des familles Montmorency, Luxembourg, ou La Trémoïlle, grands propriétaires terriens dans la région, furent aussi associés à Roye, soit par titres, soit par alliances matrimoniales. Mais c’est surtout l’ombre royale ou quasi-royale qui frappe les esprits !

Les heures sombres : sièges, envahisseurs et résistants célèbres


L’histoire de Roye se confond avec celle de plusieurs sièges et occupations, du fait de sa place sur les routes de guerre. L’Ancien Régime offre ici son lot de « héros locaux », parfois anonymes, parfois plus connus, qui défendirent, trahirent ou sauvèrent la cité.

  • Le siège espagnol de 1653 : Cet épisode reste un traumatisme dans la mémoire de Roye. Durant la Fronde, les Espagnols, alliés à certains princes français, s’emparent de la ville. Selon les chroniques, c’est Marie de Saint-Faron, abbesse du couvent local, qui s’interpose avec une poignée de religieuses pour sauver l’hôpital des massacres (Les Annales de la Somme).
  • Les attaques du duc de Parme (1589-1590) : Alexandre Farnèse, duc de Parme, lieutenant des troupes espagnoles lors de la Ligue, campe longuement devant Roye sans réussir à la faire tomber. L’assiégé devient alors presque un héros pour les troupes royales, saluant sa résistance.
  • Le sauvetage lié à Henri IV : Après les exactions des Ligueurs, une anecdote veut que le nouveau roi Henri IV ait reçu un « pain d’honneur » par les notables, pain géant symbole de réconciliation, dans l’église Saint-Pierre (Source : Société d’Histoire Locale de Roye).

Petits faits marquants

  • En 1636, lors de la « Grande Peur picarde » consécutive à l’invasion espagnole, Roye aurait hébergé près de 2 000 réfugiés venus des villages voisins pour se mettre à l’abri de ses remparts (Source : Archives du diocèse d’Amiens).
  • Un capitaine du nom de Pierre Dubosc, dont la maison subsista jusqu’au XIX siècle rue de l’École, fut réputé pour avoir sonné la cloche à toute alerte, même faux, « pour entraîner les jeunes à la défense ». On l’appelait « Pierre-le-tocsin ».

Les légistes, prévôts, et figures méconnues : le tissu humain de l’Ancien Régime à Roye


La haute sphère c’est bien, mais les archives livrent aussi des noms moins flamboyants, qui pourtant donnent tout leur sel à l’histoire de la ville.

  • Jean-Baptiste Delarue, premier échevin de Roye au XVIII siècle, fut un ardent défenseur de la charte communale contre les Piémontais en 1712. Il est l’auteur de plusieurs cahiers de doléances conservés aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de France.
  • Monsieur Laurent Beauvois, notaire royal, tint registre de toutes les successions et mariages « de bonne famille » entre 1750 et 1790 – on lui doit la préservation d’une grande partie de la mémoire civile locale.
  • Claude Vasseur, imprimeur et pamphlétaire, actif durant la crise frumentaire de 1788 : il rédigea et fit circuler des feuilles appelant au « pain à bon prix pour Roye et le Santerre », préfigurant la Révolution. (Source : Dépôt des Imprimés Révolutionnaires de la Somme).

Les femmes de l’ombre

Des figures féminines ressortent parfois. Outre Marie de Saint-Faron, citée plus haut, on croise dans les archives Jeanne Lefebvre, sage-femme du XVIII siècle, qui, sur ordonnance, tenait le registre des naissances et signalait, dit-on, toutes les « naissances illégitimes de fort bonne famille », renseignant indirectement sur la vie cachée de l’élite roysienne.

Quand les rues rappellent l’histoire : héritage dans la ville actuelle


À Roye, nos déambulations croisent encore aujourd’hui l’histoire de ces personnages. Près de la place d’Armes, la rue Gabriel d’Estrées ou la rue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny rappellent cette époque où l’on aurait croisé capitaines en cuirasse, marchands en cape et mères courage.

  • Les armoiries familiales de familles comme les Hangest, de Saulx, d’Estrees ornent encore certaines façades, même si elles passent souvent pour de simples décors.
  • Des figures anciennes survivent dans le nom des hôtels particuliers : la maison Delarue, la maison Vasseur...

L’école Pierre Dubosc n’attire peut-être plus l’attention, mais ce genre de nom porte un hommage – discret, mais têtu – à toutes ces figures qui ont œuvré, résisté, négocié dans l’ombre ou la lumière, du temps de l’Ancien Régime.

Pour se plonger plus loin dans la mémoire roysienne...


Cet article ne pourrait être complet sans signaler quelques ressources qui permettent d’aller plus loin :

  • Gallica – BNF (recherchez « Roye Somme Ancien Régime » pour accéder à maints documents d’archives numérisés)
  • Archives départementales de la Somme – série B et E qui regorgent de lettres, relations de sièges, listes de capitaines
  • Les publications de la Société d’Histoire Locale de Roye, très actives sur la mémoire urbaine
  • Histoire de Roye et du Santerre, par l’abbé Sire (1910), une source classique

Que ce soit au détour d’une plaque de rue, à travers une histoire de siège ou une archive un peu jaunie, tous ces personnages font la richesse, parfois saltimbanque, parfois tourmentée, de Roye sous l’Ancien Régime. Il y aurait encore mille anecdotes à creuser, entre souvenirs de marchés bruyants et récits de nuits d’orage où la ville s’accrochait derrière ses murs... Et le meilleur moyen de sentir ces présences ? Arpenter Roye, lever la tête, et tendre l’oreille lors des promenades, car l’histoire, ici, aime à marcher dans nos pas.

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