Quand l’Histoire fait son chemin : à Roye, des rues qui témoignent des guerres

23 septembre 2025

De la mémoire gravée dans le plan de la ville


Nommer une rue, c’est rarement anodin. À Roye, plusieurs voies évoquent explicitement la Première Guerre mondiale, la Seconde, ou leurs héros et victimes. Ces baptêmes, inscrits dans le paysage urbain, traduisent une volonté forte : celle de ne pas oublier comment la ville a été marquée dans sa chair, et de faire œuvre de mémoire collective — à la façon d’une trace sous nos pas.

  • Rues et places du 11 Novembre 1918, du 8 Mai 1945 : rappel des armistices majeurs, célébrant la fin officielle des deux guerres mondiales.
  • Rues portant le nom de figures locales héroïques ou tombées au front, résistants ou industriels impliqués dans l’effort de guerre.
  • Avenues et allées qui témoignent d’événements douloureux ou de la reconstruction, comme celles du Souvenir Français ou du Général de Gaulle.

Ces choix ne sont ni anecdotiques, ni uniformes : chaque période de l’histoire de Roye se lit dans la toponymie, révélant la nature des cicatrices laissées par les conflits.

Roye, ville-martyr : l’impact des conflits mondiaux


Impossible d’évoquer la question sans rappeler que Roye fut l’un des points cruciaux du front de la Somme, et ce à deux reprises au XX siècle.

Première Guerre mondiale : destruction et reconstruction

Entre 1914 et 1918, la ville subit une occupation allemande prolongée, des bombardements, puis des destructions méthodiques. En mars 1917, l’armée allemande faisant retraite dynamita une grande partie des bâtiments, détruisant jusqu’à 90% du centre-ville (source : Archives départementales de la Somme). Toute une génération d’habitants dut alors se confronter à l’exil ou à la vie dans des ruines.

Le poids de ces années noires explique que, dès la reconstruction, des rues portent l’empreinte du souvenir combattant : rue du 11 Novembre, rue du Souvenir, place des Combattants…

Seconde Guerre mondiale : occupation et résistance à Roye

Pendant l’Occupation, Roye ne fut pas épargnée. Des habitants s’engagent dans la Résistance, d’autres vivent la déportation ou la collaboration sous le joug nazi. À la Libération, les célébrations locales se mêlent aux deuils. L’existence d’une rue du 8 Mai 1945, mais aussi de places ou d’impasses portant le nom de résistants locaux (souvent méconnus au-delà du canton), s’inscrit dans cette volonté de rappeler l’engagement de tout un territoire.

Au total, la ville deviendra l’un des pôles commémoratifs du “chemin des dames de la Picardie”, parcouru chaque novembre par les associations d’anciens combattants (Le Courrier Picard, dossier 2018).

Pourquoi baptiser des rues des noms des guerres ? Les logiques derrière le choix


La tradition d’honorer un événement ou une figure par le biais d’un nom de rue s’ancre dans le mouvement général de mémoire urbaine initiée au lendemain de la Première Guerre mondiale, notamment avec la loi de 1919 autorisant les communes à s’attribuer la mention “ville décorée de la Croix de Guerre” et à multiplier les monuments (source : Légifrance). Roye, décorée de la Croix de Guerre en 1920, n’a pas échappé à cette dynamique.

  • Transmission à la jeunesse : chaque plaque est une invitation à questionner, à raconter et à apprendre. Difficile pour un écolier de Roye d’ignorer ce que signifient “11 Novembre” ou “8 Mai”.
  • Reconnaissance envers les anonymes : au-delà des héros nationaux, Roye met en lumière des combattants tombés sur ses terres ou issus de ses familles, avec des rues saluant leurs noms de famille.
  • Lutte contre l’oubli : les contemporains des guerres se sont battus pour que les traumatismes collectifs ne sombrent pas dans l’indifférence au fil des générations.
  • Affirmation d’une identité locale : ces noms signalent la volonté de ne pas dissoudre Roye dans l’histoire nationale, mais de la conjuguer à l’échelle locale, à hauteur d’hommes et de femmes qui ont souffert ici-même.

Anatomie d’un hommage : focus sur quelques rues emblématiques de Roye


Pour ceux qui aiment flâner l’âme en bandoulière, ces rues sont autant d’entrées dans des récits ancrés dans la poussière du quotidien.

  • Rue du 11 Novembre (1918) : baptisée dès la fin des années 1920. Son existence rappelle la “joie amère” de l’armistice, célébrée chaque année par un défilé. Elle traverse une zone reconstruite après guerre, non loin des anciens remparts alors rasés.
  • Avenue du 8 Mai 1945 : l’expression d’une victoire “libératrice”, mais aussi d’un soulagement après l’occupation nazie, incarnée par le retour massif des prisonniers de guerre, dont beaucoup étaient originaires de Roye ou du Santerre (source : MémorialGenWeb).
  • Allée du Souvenir Français : rend hommage à l’œuvre continue de l’association éponyme, fondée en 1887 pour célébrer la mémoire des morts pour la France.
  • Rues portant le nom d’anciens résistants ou déportés : on y trouve des exemples modestes mais fiers, souvent attribués sur proposition d’anciens combattants ou de familles endeuillées. Par exemple, la rue Jacques-Duclos de Roye rappelle un résistant communiste fusillé en 1944 (à ne pas confondre avec le célèbre homme politique, cf. Mémoires de Résistance Picarde).

L’évolution de la mémoire urbaine : a-t-on moins donné de noms de guerre aujourd’hui ?


Jusque dans les années 1970, il était courant de baptiser de nouvelles rues “d’après guerre”, au gré des constructions et des extensions de lotissements. Depuis, la tendance se diversifie : l’histoire locale reprend le dessus (rues honorant des maires, des artisans, des instituteurs), tandis que la mémoire des guerres s’incarne davantage dans les cérémonies, les monuments et les rencontres scolaires.

Quelques chiffres remarquables :

  • Sur la soixantaine de rues du centre-ville de Roye, une dizaine environ évoquent directement ou indirectement les deux guerres mondiales (répertoire toponymique communal).
  • Depuis 2000, seulement deux nouvelles rues inaugurées portent un nom lié à la guerre : “Allée Guy Marest”, du nom d’un résistant local, et “Square de la Paix”.

La tentation de commémorer différemment grandit, sans effacer l’existant : la toponymie devient un patrimoine en soi, objet de débats lors des conseils municipaux.

Des traces vivantes : comment la ville continue de faire vivre ces noms


Si la vie contemporaine avance à pas pressés, Roye poursuit son travail de mémoire de plusieurs façons :

  1. Commémorations régulières : chaque 8 Mai et 11 Novembre, les habitants se réunissent pour déposer gerbes et fanions devant les plaques — cérémonies sobres, toujours émouvantes.
  2. Informations pédagogiques : des panneaux explicatifs ont été ajoutés près des rues majeures, racontant en quelques lignes pourquoi et quand la voie fut baptisée ainsi.
  3. Initiatives scolaires : certains projets d’écoles font intervenir des témoins, des descendants de résistants locaux ou des historiens de la vallée de l’Avre pour raconter “leur” histoire de la rue.

La participation associative reste vive, à l’image de “Patrimoine et Histoire de Roye”, organe actif durant la Grande Guerre du Centenaire 14-18, et du Souvenir Français qui entretient la flamme des tombes militaires.

Les rues de Roye, mémoire tissée au quotidien


Au fil de nos emplettes, de nos rendez-vous ou de nos trajets à vélo, on emprunte sans le savoir un labyrinthe de souvenirs. Chaque nom évoque une histoire, une blessure, mais aussi une leçon d’espérance. Tant que Roye s’interrogera sur ses noms de rues, elle gardera ce petit supplément d’âme : celui d’une ville qui n’oublie pas, mais continue d’avancer, les deux pieds dans la vie, et l’Histoire à fleur d’asphalte.

Pour aller plus loin : La bibliothèque municipale propose régulièrement des expositions sur la toponymie de Roye, et le site MémorialGenWeb recense l’histoire des rues « patrimoniales » de la région.

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